... une critique assez féroce de l'école... des solutions qui ne semblent pas aller dans le sens des propositions de la liste, mais intéressantes pour nourrir le débat (la vidéo est encore dispo pour quelques heures seulement sur le site de France 2).
France 2 - Les 4 Vérités du 08/09/2005
Jean-Paul Brighelli - Françoise Laborde. À propos de La Fabrique du Crétin. Les 4 Vérités, France 2 le 8 septembre 2005, 7 heures 40 (vidéo sur le site de France 2). F.L. : Avec Jean-Paul Brighelli ce matin, nous allons parler de lécole, avec ce titre en effet assez provocateur : La Fabrique du Crétin. J.P.B. : Franchement, je ne suis pas doué pour la polémique et ce livre, jai longtemps hésité à le faire. Jai hésité, disons, ces quinze dernières années, au fur et à mesure que la déliquescence de lécole saccentuait de plus en plus, au fur et à mesure que les programmes nous incitaient de plus en plus à ne rien leur apprendre, surtout ne rien leur apprendre, ne rien leur donner, ne rien leur transmettre. F.L. : Ce que vous dites cest que, au fond, la pédagogie a remplacé lenseignement et quon fait de la communication et pas de lapprentissage ? J.P.B. : Les linguistes ont envahi le champ de la pédagogie dans les années 70, ont découvert une très belle chose qui était le discours. Cest un beau concept ; donc, tout est devenu " discours ", aussi bien une publicité, aussi bien nimporte quelle émission de télévision - (sourire) même les pires aussi bien la littérature, tout est discours, tout se vaut. Lidée générale cétait : partons du quotidien, du réel des élèves, surtout ne les brutalisons pas avec des doses massives de savoir comme on le faisait autrefois. F.L. : On est parti de cette idée : on ne disait plus (on continue dailleurs, on ne dit plus) lélève, mais lapprenant, cest ce quon continue à apprendre dans les IUFM. On continue à dire que lélève construit lui-même son savoir. Pauvre bichon ! Comme sil pouvait y arriver tout seul ! Enfin ça, cest mon sentiment personnel, mais cest aussi ce que vous dites dans vos livres
J.P.B. : Ce nest même pas votre sentiment personnel, cest la réalité. Cest-à-dire que si par exemple un élève est face à un problème quelconque, que ce soit en math, que ce soit en français, que ce soit dans nimporte quelle matière, on lui dit : " Quest-ce que tu en penses ? " F.L. : " Mon petit chéri
" J.P.B. : " Quel est ton sentiment sur la chose ? " Il ouvre de grands yeux, il soupire, il va vers la fenêtre, il vérifie quil na pas un SMS ! Voilà, cest cela le comportement moyen de lélève en classe. F.L. : Donc, ça donne en effet des enfants qui ne savent plus rien. Ce que vous dites, cest quen histoire on a totalement abandonné le côté chronologique de la chose et on leur apprend, je ne sais pas, le costume à travers les siècles, ce qui fait quau bout du compte ils ne savent pas si Napoléon a vécu avant ou après Louis XVI. Tout ce quils savent cest que lun avait des chaussures de telle forme et lautre de telle autre. J.P.B. : Je ne suis même pas sûr quils sachent que Louis XVI a perdu la tête ! F.L. : Ah bon ? À ce point-là ? J.P.B. : Oui, voilà. Non, non, je vous assure. Ils voient trois fois dans leurs programmes des choses qui tournent autour de lholocauste, mais 50% des élèves ne savent pas qui est Hitler. Voilà, cest ça le résultat des courses. Cest-à-dire que dun côté on leur répète certaines notions, mais comme ces notions ne sont pas mises en place dans une chronologie précise etc
, cest comme un jeu pour eux en quelque sorte, et une fois que le jeu est terminé, ils loublient, ils passent à autre chose. F.L. : Vous dites, assez joliment dailleurs, que le Chevalier Bayard a disparu, alors que cétait quand même une référence absolue pour nous, ou quelques formules comme ça, historiques
" Tremble, tremble carcasse
" J.P.B. : Cest ça qui est terrible, cest que tout ce qui fabriquait en quelque sorte la mythologie française, cest-à-dire en fait, la vraie culture populaire qui se transmettait de génération en génération
F.L. Ah oui ! J.P.B. : On était content, on disait à son gosse quand il rentrait de lécole : " Quest-ce que tu as appris aujourdhui ? " F.L. (enthousiaste !) : Ah oui, moi aussi ! J.P.B. : Eh bien, quand vous le leur demandez actuellement, ils vous regardent avec cet oeil vide qui est lobjectif final des pédagogues modernes et ils vous disent : " Rien ". Et dailleurs cest vrai, ils nont rien appris. F.L. : Cest ce que vous constatez, vous, en tant quenseignant ? Vous trouvez, en effet que ceux que vous voyez arriver dans les classes préparatoires ont un niveau beaucoup plus bas quavant ? J.P.B. : Alors, dans les classes préparatoires, cest la crème de la crème de la crème. Ce quil faut bien voir, cest que de la même façon quon parle de plus en plus dune sécu à deux vitesses, on a un enseignement à deux vitesses actuellement. Il y a quelques lycées dans quelques bons centres-villes qui, en fonction dune carte scolaire ingénieuse et du prix du mètre carré, rassemblent les éléments
non pas les meilleurs ce nest même plus la question, on nest plus dans un système délitisme républicain, on est dans un système de clonage actuellement, cest-à-dire que les ex-élites transmettent en quelque sorte leurs fonctions à leurs enfants parce quils vont au lycée Henri IV à Paris ou au lycée Masséna à Nice. Ceux qui ont la malchance dhabiter dans le " neuf-trois ", comme on dit, ou à Corbeil-Essonnes où jai enseigné longtemps, ceux-là
sont les obscurs, les sans-grade du système. Pour ceux-là, il ny a rien de prévu. Tout ce quon prévoit
F.L. : ( linterrompt) Ça commence quand ? Quand est-ce que ça se dégrade ? Au début ? À la maternelle ? Au collège ? Au lycée ? J.P.B. : Ça se dégrade au moment de lapprentissage de la lecture. On a fait des dégâts extraordinaires avec la méthode globale ou semi-globale. On a donné du travail aux orthophonistes pour des générations entières. Ça cest la première chose. Ensuite, on a veillé par exemple à faire de la grammaire orale. Bernard Lecherbonnier, dans la préface de cette Fabrique du Crétin, rappelle quen 1900 cétait le problème qui se posait avec les indigènes des pays que nous avions conquis et que ce quon a déduit, à lépoque, cétait que les indigènes avaient droit à une culture orale mais surtout pas de grammaire écrite, surtout pas dexercices écrits, surtout pas de culture. Les indigènes, ils sont actuellement aux portes de Paris. F.L. : Vous voulez dire quaujourdhui on napprend pas aux enfants dans les écoles à faire au moins, jallais dire, leffort de lécriture, leffort de lapprentissage, leffort dune méthode, tout simplement ? J.P.B. : On ne leur donne absolument plus le goût du travail. Ils ont limpression que ça tombe tout cuit parce que, de toute façon, rien ne tombe. Donc, à larrivée, on dit quon va leur donner des chances professionnelles. Il y a trente-cinq bacs actuellement. Plus il y a de bacs, plus il y a de chômeurs, cest-à-dire quon forme des gens pour des voies professionnelles qui sont obsolètes alors même quils nont pas fini leurs études. F.L. : Ça veut dire que 85% dune génération au bac, cest une escroquerie ? J.P.B. : Cest plus quune escroquerie ! En juillet dernier, un ministre qui ny était pour rien sest félicité tout haut de ce que 80 et quelque pour cent des postulants aient décroché le bac. Il faut bien dire les choses clairement : on a le bac, comme on a le BEPC, comme on a la licence, comme on a même un certain nombre de concours supérieurs parce que les notes sont truandées en amont et en aval. F.L. : Cest-à-dire quon augmente les notes pour être conformes aux statistiques ? Cest ça lidée ? J.P.B. : Les correcteurs ont des consignes au départ. Sil vous plaît, ne mettez pas de notes inférieures à 8 si possible ou inférieures à 9 si possible ou inférieures à 10 ! Et quand par hasard ils se laissent aller à mettre sur les copies les notes que valent ces copies, elles sont récupérées en commission parce quil est impératif que 80 et quelque pour cent des élèves de terminale aient le bac. F.L. : Cest ces étudiants qui arrivent en faculté et disent : " Jai bac + 5 ou bac + 6 et je suis chômeur " ? J.P.B. : Cest soit " je suis chômeur ", soit " je suis recruté à bac + 5 sur des boulots auxquels on avait droit autrefois avec simplement le bac, parce quil faut bien le dire, actuellement une licence vaut le bac, le bac vaut le BEPC ; quant au BEPC actuel, il ne vaut plus rien. F.L. : Cest vrai ? Et le bac, il vaut quoi ? Le certificat détudes de nos grands-parents ? J.P.B. : Quelque chose comme ça. Et encore, je pense que les résultats au certificat détudes étaient inférieurs en nombre et en proportion, à ceux du bac. F.L. : Vous êtes évidemment plus branché vers la littérature. Aujourdhui le français, la littérature, la grammaire, ça occupe autant de place quavant dans lenseignement ? Ou de moins en moins ? J.P.B. : Alors la grammaire
Vous navez quà regarder la taille des manuels. Un livre de grammaire il y a trente ans, quand nous avons fait nos études, Françoise Laborde, cétait quatre cents pages de règles. Actuellement
F.L. (linterrompant) : Plus le Lagarde et Michard ! J.P.B. : Le Lagarde et Michard que nous avons pratiqué cétait mille cinq cents pages de textes littéraires. Jai fait au début des années 80 des manuels où on arrivait à deux mille cinq cents pages ! Xavier Darcos, autrefois ministre
F.L. : Ex-ministre ! J.P.B. :
en a fait également dans les mêmes eaux. Actuellement en seconde et en première, on fait le tour de la littérature mondiale en trois cents pages ! Est-ce que cest bien sérieux ? F.L. : Non ! Alors, je vous recommande de lire cet ouvrage, La Fabrique du Crétin. Ça fait un peu froid dans le dos. Vous comprendrez pourquoi il y a du travail. Pourquoi les papas et les mamans doivent aider les petits et les grands à faire leurs devoirs et bon
je ne sais pas
jai une copine qui dit : " Je livre mes enfants clés en main à la rentrée scolaire. Japprends tout pendant les vacances, comme ça je nai pas de soucis ! " Alors je dirai ça de façon un peu provocatrice devant Jean-Paul Brighelli. Bon courage à vous, saluez vos élèves. (Elle rappelle ladresse du site internet et ajoute : Il ny a pas tout sur internet. Les livres, aussi !)
Jean-Paul Brighelli fait partie de ce quon pourrait appeler lélite de lenseignement français. Vous êtes normalien, agrégé de Lettres, vous avez presque tout vu, puisque vous avez été prof en ZEP, cest-à-dire dans les collèges et lycées les plus durs pendant 12 ans. Aujourdhui vous avez affaire à lautre versant, cest-à-dire un peu à lélite avec des classes " prépa " et vous nous dites, au fond, dans cet ouvrage qui est extrêmement polémique et extrêmement sévère, que lécole aujourdhui nest pas faite pour que les enfants deviennent intelligents - et les outils du savoir, et les outils de la connaissance (sic) mais quau contraire tout est fait pour quils restent si ce nest analphabètes, en tout cas incapables davoir une structure intellectuelle bien construite.
[Transcription : Y. B.]