Chères et chers collègues,

Dans le cadre de l’École des arts de la Sorbonne, Université Paris
1 Panthéon Sorbonne, l’Institut ACTE-EA7539 et son Séminaire, animé par
Aline Caillet et Jacinto Lageira, de l’Axe de recherche « Esthétique et
théories critiques de la culture », Rahma Khazam et moi-même organisons un
colloque intitulé « Objets Vivants ».

Le colloque « Objets Vivants », international et pluridisciplinaire, aura
lieu au sein de l’Ecole des Arts de la Sorbonne – Centre Saint-Charles, à
Paris 15ème arrondissement, les 18-20 novembre 2021. Nous espérons vivement
que ce colloque aura lieu en présentiel, mais à défaut nous pouvons prévoir
une version hybride.

Le colloque portera sur les différentes modalités du vivant, telles que
décrites dans l’appel ci-joint, et aboutira à une publication prévue pour
2022.

Nous serons heureu.ses.x de recevoir vos propositions de communications
(voir l'argumentaire ci-après et en PJ).

Bien cordialement,
Neli Dobreva et Rahma Khazam

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*Objets Vivants* – Colloque international
École des arts de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Centre
Saint-Charles,
18-20 novembre 2021
Organisé par Rahma Khazam et Neli Dobreva

Appel à contribution


Argumentaire

Aborder à la fois la question de l’objet et du vivant dans une perspective
de la philosophie de l’art, de l’esthétique, de l’art contemporain, de la
biopolitique et de la technologie, nécessite tout d’abord de nous
interroger sur la manière dont nous définissons ces deux termes et en quoi
ils peuvent converger. En effet, avec l’apparition d’objets inanimés
paraissant vivants (robots, internet des objets), l’objet est de plus en
plus en proie à des états et des phénomènes intermédiaires et indéterminés
qui se rapprochent toujours davantage du vivant. Quant au vivant, il
devient de plus en plus difficile de le séparer du non-vivant, depuis que
l’intelligence artificielle a démontré leur proximité. Pouvons-nous en
conclure que l’objet n’est plus opposé au vivant, que depuis l’avancement
et la consolidation de l’écologie, des biotechnologies, des nouvelles
technologies, etc., leur relation est une affaire conclue ?

En réalité, la question n’est pas si simple, car en questionnant la
distinction entre l’objet soi-disant inerte et l’être ou l’animal vivant,
ne questionnons-nous pas en même temps les divisions entre humain et
non-humain, sujet et objet, intelligence naturelle et artificielle? L’être
pensant doit-il obligatoirement assumer la position du sujet qui domine
l’objet inerte non-vivant, ou ce rapport peut-il s’inverser ? D’ailleurs,
sur quelles bases définissons-nous le vivant ou le sujet et l’opposons-nous
à l’objet ? Sujet et objet sont-ils voués à disparaître et se fondre l’un
dans l’autre, engloutis dans le maelstrom d’états indéterminés qui
définissent actuellement le vivant et le non-vivant ? Ou bien le sujet et
l’objet se mettront-ils sur un pied d’égalité de façon à conserver leur
autonomie ? Se pose alors avec acuité la question du choix entre autonomie
et absorption, entre liberté de pensée et assimilation, à une époque où les
nouvelles technologies de l’information et de la communication envahissent
et transforment nos vies et nos esprits au point de mettre en cause notre
faculté de libre arbitre (Žižek, 2020).

Si ces interrogations quant aux termes vivant/non-vivant, sujet/objet sont
au cœur même de la philosophie contemporaine (nouveau matérialisme,
réalisme spéculatif et dérivés), elles n’en sont pas moins vivement
débattues : tout est-il relié à tout, comme le soutiennent certains adeptes
du nouveau matérialisme, prônant une « relationnalité » tous azimuts ? Que
penser de la théorie de Karen Barad (2007) selon laquelle l’objet n’a pas
une existence indépendante, mais est profondément imbriqué avec le sujet ?
On peut y opposer le réalisme spéculatif ou l’ontologie orientée objet –
selon cette dernière (Harman 2011), le terme ‘objet’ englobe aussi bien les
sujets que les objets, et chaque objet est autonome, inaccessible et « non
relationnel», qu’il soit vivant ou non-vivant. Notre investigation s’étend
également à des théories plus récentes concernant le vivant et/ou l’objet,
quel que soit le parti pris philosophique qu’elles représentent.

Les interrogations concernant le vivant sont en passe de devenir tout aussi
importantes dans d’autres champs de recherche et disciplines. En matière de
technologie, l’étude des rapports humain-machine, et notamment la
créativité de l’intelligence artificielle et ses capacités d’interaction
avec l’humain constituent une question essentielle. Quant à la
biopolitique, elle se définit dans le sillage de Foucault comme
l’intégration du vivant dans la politique, ou plus précisément, comme «
l’ancrage des technologies libérales de gouvernement dans les propriétés
biologiques des sujets » (Bossy, Briatte, 2011). Nous pouvons également
mobiliser le concept de *zôê* repris par Agamben, qui semble intéressant
quant à la distinction *zôê *(le simple fait de vivre) vs. *bios *(la façon
de vivre caractérisant un individu ou un groupe) (Agamben, 1997). Remettant
en cause de telles séparations, le *Manifeste convivialiste *appelle à la
création de nouveaux récits en symbiose avec nos vies contemporaines,
convoquant ainsi une forme de résistance, ou encore de *résonance *(Hartmut
Rosa, Nathanaël Wallenhorst), qui pourrait sortir le vivant de la crise de
l’imaginaire et du pouvoir.

La notion du vivant a aussi une longue histoire : nous nous bornerons ici à
évoquer les premiers naturalistes, qui isolaient « des corps vivants »
(Lamarck, 1802), ou travaillaient sur l’inventaire et l’origine des espèces
(Darwin, 1859), ainsi que les biologistes introduisant sur la scène de la
connaissance le terme d’« écologie » au sens d’interaction avec le milieu,
vivant ou non-vivant. Ces notions interviennent aussi dans les premiers pas
de la littérature dys/utopique d’hybridation entre vivant/ non-vivant et
artificiel (Mary Shelley, 1818 ; Ian McEwan, *Machines Like Me*, 2019) et
dans les premiers essais en « biologie synthétique » faisant entrer le
végétal en relation avec la sciences et la technique. Aujourd’hui les
analogies et convergences entre le vivant, le non-vivant et les
technologies de pointe se produisent toutes disciplines confondues, depuis
l’apparition du terme d’anthropocène en écologie (Stoermer, 1980) et plus
tard en chimie (Crutzen, 2000), jusqu’aux « quasi-objets » de Michel
Serres (Le Parasite, 1980 ; Genèse, 1981), à la frontière entre humain et
non humain : animalier, végétal, minéral etc. Pour Bruno Latour (1991), des
objets tels « une centrale nucléaire, un trou dans la couche d’ozone, une
carte du génome humain etc. » forment des « quasi-objets », constituant une
conception de la nature englobée par un discours politique ou social.
Ainsi, ce sont les objets hybrides qui constituent le monde, relevant aussi
bien de la technique et de la culture, de l’humain que du non-humain.

Quant au monde de l’art, il se met à suivre les découvertes scientifiques
quant à l’évolution du vivant. Cela nous permet-il de décloisonner
l’expérience esthétique avec des œuvres d’art « hybridées » par
l’expérience scientifique, qui tiennent compte du végétal ensemble avec
tout le vivant, en conservant l’objet de l’écologie et en laissant « les
corridors » (Zask, 2019) qui relient le vivant au non-vivant ? Le vivant
peut aussi devenir l’objet même de la pratique de certains artistes : le
bio-art suit les expériences de la génétique ou de l’intelligence
artificielle appliquées au vivant, tandis que le bio-hacking travaille en
mode participatif indépendamment du discours scientifique dominant. Tout
aussi pertinentes sont l’expérience et l’expertise apportées par le modèle
d’une entité organique autorégulatrice, unicellulaire, ni animal ni plante,
interagissant avec son environnement : le « blob ». Cependant ces
expériences, telles que celles conduites par des artistes comme Eduardo
Kac, Stelarc, Špela Petrič et bien d’autres, ne témoignent-elles pas le
plus souvent d’une « objectivation » du vivant, sans pour autant accorder à
ces éléments vivants une quelconque autonomie ou vie propre en dehors de
leur relation avec l’humain ?

Or, ce qui nous intéresse à présent, c’est de savoir si, en dehors de cette
interdépendance vis-à-vis de l’humain, l’art pourrait exprimer et rendre
sensible une autonomie de l’« objet vivant ». Si on suit les avancées en la
matière, il s’avère qu’il existe d’autres approches au vivant dans le monde
de l’art contemporain qui ne tentent ni « d’objectiviser » le vivant ni de
le fondre dans le non-vivant mais lui accordent une autonomie et
encouragent son évolution (Jean-Luc Bichaud, Jacques Vieille, Michel Blazy
etc.). Comme le formule Jean-Luc Bichaud, ces artistes qui explorent les
enjeux de signification qui se dissimulent dans la composition formée par
les termes objet /animé / inanimé/ vivant /semi-vivant, abordent la
question d’une “greffe” possible entre la question du vivant et celle de
l’objet. Ce faisant, il ne s’agit pas de les fondre l’un dans l’autre, mais
au contraire de mettre en avant leurs spécificités et différences. Quel
rôle pourrait jouer dans l’esthétique contemporaine l’ « objet vivant »
pris dans ce dernier sens ? Comment le vivant et le non-vivant compris
comme autonomes l’un de l’autre, ayant chacun leur « vie » propre, mais
toutefois greffés ensembles, juxtaposés, sur un pied d’égalité,
pourraient-ils nous émouvoir par une forme sensible se révélant dans
l’œuvre d’art ?

Alors la question qui se pose dans ce cas précis serait celle de savoir :
pourrions-nous saisir le vivant, voire même l’« objet vivant » de façon à
prétendre renverser, ou au moins contester le rapport kantien à l’objet
supposé produire le « beau » au contact du sujet ? Ou s’agit-il plutôt de
saisir l’objet vivant au-delà de tout intérêt ou volonté de jugement ou
d’analyse, de façon à faire écho à la notion de plaisir désintéressé de
Kant, selon laquelle le sujet n’impose pas ses formes sur le monde, mais se
laisse façonné par celui-ci (Shaviro, 2009) ? Autrement dit, pouvons-nous
penser l’agentivité de l’objet ainsi que son autonomie, et quelles en sont
les conséquences pour le rapport entre sujet et objet, vivant et non-vivant
?

En faisant appel à l’expérience et à l’intervention d’artistes qui créent à
partir de ces interrogations, nous proposons de mener une réflexion
collective, participative et interdisciplinaire afin de tracer les grandes
lignes de démarcation que posent les « Objets vivants ». Les propositions
retenues pourront se pencher sur les thèmes détaillés ci-dessus, mais aussi
sur tout autre sujet ou discipline s’attachant à la question de l’objet ou
du vivant.

Nous invitons artistes, théoriciens, philosophes, anthropologues ou
scientifiques à nous soumettre des propositions de 300 mots, qui sont à
envoyer simultanément à Rahma Khazam  <rah...@wanadoo.fr> et à Neli Dobreva
<dobreva.n...@gmail.com> avant le 13 Septembre 2021. Une publication suivra
en 2022.


Références (non exhaustives) :

Agamben, Giorgio, *Homo Sacer*, 1997
Barad, Karen, *Meeting the Universe Halfway*, 2007
Bossy, Thibault, Briatte, François, « Les formes contemporaines de la
biopolitique », dans
*Revue Internationale de Politique Comparée*, 2011
Brayer, Marie-Ange, Zeitoun, Olivier (dir.), *La fabrique du vivant*, 2019
*Deuxième manifeste convivialiste*, 2020
Durafour, Jean-Michel, *Cinéma et cristaux, Traité d’éconologie*, 2018
Foucault, Michel, *Dits et écrits, *2001
Harman, Graham, *The Quadruple Object*, 2011
Latour, Bruno, *Nous n’avons jamais été modernes*, 1991
Meillassoux, Quentin, *Après la finitude*, 2006
Serres, Michel, *Genèse*, 1981
Serres, Michel, *Le Parasite*, 1980
Shaviro, Steven, *Without Criteria: Kant, Whitehead, Deleuze, and
Aesthetics*, 2009
Wallenhorst, Nathanaël, *L’Anthropocène décodé pour les humains*, 2021
Zask, Joëlle, *Quand la forêt brûle. Penser la nouvelle catastrophe
écologique, 2019*
Žižek, Slavoj, *Hegel in a Wired Brain*, 2020


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