Bon, je sais c'est un peu hors-sujet, mais bon, ca vaut le coup
J'ai trouvé cet article dans "Le Monde", il y quelques-jours.
Qu'en pensez-vous? Moi franchement je trouve cette idée excellente, il faudrait essayer


Guillaume





A Seattle se construit l'après-Net 

    
A Seattle, au nord-ouest des Etats-Unis, un groupe de copains construisent patiemment 
leur rêve  : un réseau à haut débit, sans fil, gratuit et accessible de partout à 
toute personne dotée d'un ordinateur ou d'un simple organiseur de poche. Bref, 
totalement libre et passablement rebelle. MATT WESTERVELT habite un petit immeuble 
perché sur une colline abrupte qui domine le centre-ville et le port de Seattle. 
L'appartement est agréable, mais il a décidé de déménager, car, de ses fenêtres, on ne 
voit que le nord-ouest de la ville, ce qui ne cadre pas avec ses projets : "Je suis 
sur la liste d'attente pour l'appartement qui fait l'angle du bâtiment. Il est exposé 
à la fois au nord, à l'ouest et au sud : de là, mon signal pourra couvrir plus de la 
moitié de Seattle. Cela dit, en restant ici, je peux quand même toucher plusieurs 
quartiers assez peuplés, ce n'est pas si mal." Sans attendre sa vue panoramique, il 
est en train d'installer dans son salon les antennes du premier relais de son réseau 
sans fil communautaire.

Depuis des années, Matt et son ami Steve Briggs, tous deux passionnés d'Internet, 
rêvent de créer de toutes pièces le réseau local idéal : il serait libre, gratuit et 
ouvert à tous les habitants possédant un ordinateur ; il serait géré sur la base du 
bénévolat, de l'entraide et du partage ; il serait à très haut débit, pour transporter 
des textes, des sons et des images de qualité parfaite ; surtout, il serait sans fil, 
à la fois immatériel et omniprésent... Or, les années passant, les deux amis 
s'aperçoivent que, grâce au rythme effréné de l'innovation, leur projet utopique et 
démesuré devient réalisable. Entre-temps, ils sont devenus ingénieurs : Matt s'occupe 
du réseau interne d'une société de logiciels, Steve travaille pour un prestataire 
Internet. Aujourd'hui, à vingt-neuf ans, ils sont parfaitement à l'aise dans l'univers 
des serveurs, des émetteurs et des antennes.

En septembre 2000, ils décident de se lancer et créent un site Internet pour recruter 
des volontaires. Le discours de bienvenue est austère : chacun devra dépenser près de 
500 dollars pour s'équiper, puis travailler bénévolement pendant des semaines. 
Pourtant, les propositions affluent : "Seattle n'est pas un endroit comme les autres. 
Il y a ici une concentration exceptionnelle de passionnés des réseaux. Par ailleurs, 
ce port a une forte tradition rebelle. Depuis le XIXe siècle, il a toujours abrité des 
mouvements alternatifs et syndicaux assez radicaux." D'emblée, Matt fixe les règles du 
jeu. Le réseau s'appellera simplement Seattle Wireless (sans fil). Pour le construire, 
on ne s'appuiera sur aucune infrastructure existante, on ne recherchera pas de sponsor 
ni d'investisseur, on ne se fera aider par aucune fondation ou université, on ne 
créera pas de start-up ni d'association, et on ne préviendra pas les autorités locales 
: "Nous serons une bande de copains, c'est déjà beaucoup."

Un réseau sans fil à haut débit doit s'appuyer sur un ensemble de relais assez 
complexes, les nodes, qu'il faudra construire de toutes pièces. Matt et Steve passent 
leurs soirées et leurs week-ends à tester les matériels disponibles dans le commerce, 
puis à les démonter pour les adapter à leurs besoins : "Désormais, toutes nos machines 
fonctionnent avec des logiciels libres et des standards ouverts. C'est un aspect 
important du projet. La génération précédente a créé le mouvement du logiciel libre, 
qui est en train de s'imposer après des années de vie souterraine. A présent, nous 
lançons le mouvement du réseau libre." Autre découverte importante : Seattle Wireless 
pourra être sauvage sans être illégal, car l'une des fréquences adaptées à cet usage - 
2.4 GHz - n'est pas réglementée par les autorités fédérales : "On y fait ce qu'on 
veut, à condition de ne pas dépasser une puissance d'émission de 1 watt. Or nos 
équipements utilisent à peine 20 % de la puissance autorisée, tout en assurant un 
débit deux cents fois plus élevé que celui d'un modem classique." Cela dit, même si la 
loi changeait, Steve ne renoncerait pas : "Une fois que Seattle Wireless sera en 
place, ce sera difficile de le détruire, la police serait obligée de nous repérer un 
par un. Et puis, un node se déménage facilement."

Dans le système imaginé par Matt, un node communique d'abord avec les ordinateurs 
présents dans le voisinage, créant ainsi un mini-réseau couvrant un pâté de maisons. 
Pour se raccorder, les habitants doivent simplement s'équiper d'une carte-modem sans 
fil : "Ils pourront se connecter à volonté, chez eux, avec leur PC, dans le restaurant 
du coin avec leur ordinateur portable, dans la rue avec leur organiseur de poche... On 
ne leur demandera rien, ni abonnement ni contribution d'aucune sorte." D'autre part, 
pour donner vie au réseau à l'échelle de la ville, les différents nodes doivent être 
interconnectés, grâce à une antenne spéciale, réglée et orientée avec précision : "Le 
moindre obstacle perturbe notre signal. Pour que la liaison soit efficace, les 
antennes doivent être placées face à face, en ligne directe. Un vrai casse-tête." 
Ainsi, Steve habite un immeuble au-dessus du port, mais son appartement donne sur 
l'arrière-cour : "Mon node me permet d'aller travailler en réseau dans le bar au coin 
de la rue, mais, pour communiquer avec le reste de la ville, il va falloir ruser. Je 
vais poser une antenne sur le toit et distribuer des tracts à mes voisins pour leur 
annoncer qu'ils disposent d'un réseau sans fil gratuit. La plupart sont jeunes, ça va 
leur plaire. Ensuite, si le propriétaire voit cette antenne sauvage et veut la 
retirer, la moitié de ses locataires sera contre lui."

Début 2001, Matt et Steve peuvent compter sur plus de 80 volontaires prêts à héberger 
un node, et sur une quinzaine de vrais spécialistes. Stuart, expert en cryptographie, 
va doter Seattle Wireless d'un système de cryptage, qui permettra aux usagers de 
protéger la confidentialité des messages : "Cela déplaira sans doute à la police 
locale et au FBI, qui ont toujours envie de surveiller ce genre d'initiatives. 
Advienne que pourra..." Ken, un costaud aux gestes brusques, est le plus politisé de 
la bande : "J'ai toujours été attiré par le militantisme de gauche ou, plus 
exactement, j'ai toujours eu un fort sentiment anti-establishment. Seattle Wireless 
est l'occasion rêvée de passer à l'action, car cela touche à la technologie, ce que je 
connais le mieux."

Une fois équipés, les volontaires doivent expliquer sur un site Web ce qu'ils voient 
de leurs fenêtres ou de leur toit, puis se repérer les uns les autres à la jumelle 
pour constituer des "couples" dont les antennes se feront face. Pour résoudre ce 
puzzle compliqué, l'équipe reçoit l'aide d'un volontaire atypique, Ethan, vingt-six 
ans, coursier à vélo depuis sept ans : "Je connais Seattle à fond, j'ai une carte de 
la ville gravée dans la tête. J'aide Matt à trouver les meilleurs emplacements. J'ai 
aussi repéré des recoins discrets dans des immeubles de bureau pour y installer des 
antennes et des serveurs, avec la complicité de copains qui y travaillent." Ethan 
ouvre le projet vers d'autres groupes de la jeunesse locale, qui fréquentent surtout 
les réseaux pour les jeux vidéo : "Quand ils découvriront le très haut débit et 
surtout quand ils comprendront qu'ils peuvent jouer n'importe où, même dans la rue, 
ils ne voudront plus rien d'autre."

S'ils le souhaitent, les possesseurs de nodes proposeront des services 
supplémentaires. Matt met en place un système local de courrier électronique et Steve 
va offrir à ses voisins une passerelle entre Seattle Wireless et Internet. Ils 
espèrent que d'autres les imiteront, chacun à sa façon : "En théorie, on pourrait même 
raccorder Seattle Wireless à des services payants, à condition que leurs propriétaires 
construisent leur propre node et gèrent gratuitement tout le trafic local. A voir."

Parmi les volontaires, quelques-uns habitent des lieux stratégiques, à équiper en 
priorité. Panos Krokos, marin et homme d'affaires d'origine grecque, possède un 
pavillon dans un quartier résidentiel, sur l'autre rive de la baie Elliott. De ses 
fenêtres, on voit d'un seul coup d'œil le port, les immeubles du centre et, au loin, 
les banlieues sur les collines... Matt et Steve décident d'y installer un super-relais 
capable d'assurer une connexion directe entre plusieurs quartiers. Profitant d'un 
samedi après-midi ensoleillé, ils arrivent chez Panos avec une voiture remplie 
d'outils et de matériel. Comme promis, Panos a acheté une antenne d'un mètre de haut, 
qu'il faut fixer sur le toit. Le démarrage des opérations est un peu confus : le toit 
est trop lisse, l'arbre du voisin trop haut... Changement de tactique, l'antenne sera 
fixée à une tige de bois de cinq mètres de long, que l'on attachera au balcon avec du 
fil de fer. Il faut ensuite percer le mur pour faire passer le câble, puis installer 
le serveur dans un coin du salon où il ne gênera pas trop.

LE voisin, attiré par l'agitation, vient aux nouvelles. En apprenant qu'il va disposer 
gratuitement d'un réseau sans fil à haut débit, il est d'abord incrédule, mais Matt se 
charge de le convaincre par une petite démonstration. On lui annonce aussi que son 
téléphone sans fil subira peut-être des interférences, mais il se fait une raison.

Malgré la nuit tombante, Matt et Steve veulent tester leur nouveau relais sans 
attendre. Le seul moyen consiste à monter un node provisoire quelque part sur l'autre 
rive, dans le centre-ville. Ils longent les quais à la recherche de l'endroit propice 
et décident de s'installer dans un restaurant de poisson sur la jetée. Le patron, 
intrigué par la taille de l'antenne, se fait expliquer la manœuvre. Il ne comprend pas 
tout, mais il approuve : à Seattle, le high-tech fait partie du paysage... Finalement, 
le restaurant ne convient pas. Il faut refaire de l'escalade, pour grimper sur le toit 
du nouveau centre de conférences construit au bord de l'eau. Le vent s'est levé, le 
réglage de l'antenne prend du temps, mais, soudain, Steve pousse un cri de victoire : 
le signal passe, le port est conquis. Déjà, Matt pense à la prochaine étape : "Au 
sommet de Queen Ann, la plus haute colline de Seattle, il y a une ancienne école 
transformée en appartements. On la voit de partout, c'est le relais idéal. Parmi les 
locataires, il y a un type que je connais vaguement. Dès lundi, je vais le voir."

Désormais, les volontaires ont envie de se rencontrer en chair et en os : "Tout ça est 
aussi un prétexte pour se faire de nouveaux copains et faire la fête", rappelle Matt. 
Il en profitera pour faire un premier bilan et initier les nouveaux aux techniques du 
montage de node. Rendez-vous est fixé un dimanche après-midi chez George, musicien et 
artiste de scène résolument marginal. George vit seul dans un hangar désaffecté qu'il 
a transformé à la fois en salle de spectacle et en appartement. Il ne connaît pas 
l'informatique, mais aime tout ce qui est hors normes.

Pour l'occasion, Matt a amassé assez de matériel pour remplir la vieille camionnette 
de Steve. Devant une trentaine de personnes, il explique le projet en termes simples, 
répond aux questions les plus pointues, réfute les objections, puis monte un node 
temporaire dans le hangar. Les simples curieux s'en vont, déroutés par la complexité 
de l'entreprise. Les connaisseurs jouent avec le matériel, échangent leurs adresses. 
Dans le coin-salon du hangar, Kathleen, l'amie de Stuart, explique aux indécis les 
raisons de son engagement : "Les gens ne se rendent pas compte que, dans la société en 
réseau qui se prépare, les grands groupes de télécom seront les maîtres du monde, si 
on les laisse faire. J'ai travaillé chez l'un d'eux pendant trois ans, j'ai vu leur 
soif de pouvoir, leur capacité à étouffer tout ce qui contrecarre leurs plans ou 
réduit leurs profits. Avec Seattle Wireless, nous allons leur reprendre un peu du 
pouvoir qu'ils ont confisqué." Ken est encore plus catégorique : "Nous sommes les 
premiers à comprendre que la technologie des réseaux sans fil peut rendre obsolètes 
les systèmes centralisés des compagnies de téléphone."

Certains visiteurs se demandent malgré tout à quoi tout cela va servir. Matt les 
interrompt : "Les applications ne doivent pas être notre affaire. Ceux qui ont inventé 
Internet n'avaient absolument pas prévu ce que la génération suivante allait en faire. 
Nous fabriquons un réseau ouvert, souple, extensible, qui servira à tout. Ce serait 
une erreur d'agencer Seattle Wireless en fonction d'usages programmés à l'avance. 
Faisons confiance à tous les habitants, aux artistes, aux hommes d'affaires, aux 
enfants, pour inventer de nouveaux usages, impensables sur un réseau classique. Nous 
serons les premiers surpris."A présent que les volontaires deviennent plus autonomes, 
Matt et Steve ont déjà un nouveau rêve :"Nous sommes en contact avec une dizaine de 
projets similaires, en Amérique, en Australie, en Angleterre. Près d'ici, à Vancouver, 
au Canada, une équipe va bientôt se lancer. Même chose au sud, à Portland, et aussi à 
San Francisco." Matt a commencé à réfléchir aux moyens d'interconnecter ce chapelet de 
réseaux libres le long de la côte pacifique : "Les problèmes à résoudre sont nombreux, 
mais aucun ne semble hors de notre portée..."

Yves Eudes
 

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.05.01

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http://www-internal.alphanet.ch/linux-leman/ avant de poser
une question. Ouais, pour se désabonner aussi.

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