NEUTRALITE DE LA TRANSITION EN MAURITANIE
La fin d’un mirage
En Mauritanie, comme nous l’annonçons depuis quelque temps, la neutralité des forces armées dans le processus de normalisation politique, s’amenuise, au fil des jours, à un rythme où dominent le cafouillage et le mépris envers les électeurs, notamment dans les régions de l’Est. Ne sont cités, ici, que les exemples les plus visibles d’une stratégie qui s’essaye, cahin-caha, à un minimum de confidentialité.
Ainsi, le 11 septembre 2006, Cheikh Mohamed Lemine Ould Lemhaïmid, maire de Timbedra et ex député du parti quasi unique ( PRDS, devenu PRDR ) sous l’ère Ould Sid’Ahmed Taya, était reçu, en audience, par le Président du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD), le Colonel Ely Ould Mohamed Vall, chef de l’Etat.
Il avait été initié à la rencontre, en sa qualité de notable de la tribu Mechdhouf, par des cadres de celle-ci ; le procédé, courant dans l’entourage du Colonel Ould Sid’Ahmed Taya sera d’ailleurs reconduit, dans les mêmes termes et gestes, par des acteurs pas toujours nouveaux :
Lemrabott Sidi Mahmoud Ould Cheikh Ahmed, ex ministre des années de plomb, convainc Cheikh Mohamed Lemine de déférer à une convocation du Chef de l’Etat, lequel, par respect, lui signifierait, de vive voix, la consigne électorale du pouvoir, en faveur du candidat indépendant Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
Or, durant l’entretien à la Présidence, le notable, déjà âgé et d’une ouïe quelque peu perfectible, n’entend rien qui puisse lui confirmer les préférences de son hôte. A sa sortie le Directeur de Cabinet, Monsieur Mohamed Lemine Ould Dahi, tente, en vain, de lui imposer une interprétation identique des propos du Colonel Ely Ould Mohamed Vall.
Le soir, aux fins de bilan, une réunion tribale des Mechdhouf du Hodh et de l’Adrar se tient, à l’instigation de Lemrabott Sidi Mahmoud-l'ex-ministre, assisté de l’entrepreneur et ancien opposant Bamba Ould Sidi Babdy et de Ahmed Ould Ameïne, avec l’aval du chef de l’Aviation Militaire et membre du Conseil CMJD, l’instance suprême de l’Etat.
Les animateurs attestent que le Conseil Militaire a décidé de soutenir le candidat Sidi Ould Cheikh Abdallahi ; ils affirment le tenir de son Président. Cheikh Mohamed Lemine nuance, lui, n’avoir pu induire une telle résolution de son échange avec le susdit. Compte tenu de la confusion, il dit devoir s’en tenir au consensus des habitants de Timberdra, après consultation de ceux-ci.
Non content d’un résultat aussi inégal, les promoteurs précités de cette pré-campagne multiplient, des appels téléphoniques, aux personnalités influentes de la région du Hodh Elagharbi, pour les inciter, au nom du Conseil Militaire, à voter et faire voter Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
Ainsi, le 15 septembre 2006, Lemrabott Sidi Mahmoud Ould cheikh Ahmed, avec insistance, rappelait, à l’ex sénateur PRDS de Timbedra, Monsieur Cheikh Ould Zeïne, son devoir, de soutenir ce candidat du « Gouvernement ».
Dûment informé des démarches très partiales qui se généralisent sous sa caution - réelle ou tolérée - le CMJD et son gouvernement laissent faire s’ils ne commanditent. Ces derniers jours, de nombreux dignitaires traditionnels défilent au Palais et en ressortent avec des consignes d’investitures indépendantes aux consultations de novembre 2006 ; l’orientation provient, sans ambiguïté, de la part du Chef de l’Etat, lequel, pour le moment, n’intervient qu’à niveau des scrutins municipal et législatif ; son Directeur de Cabinet se charge de conclure l’entretien par une directive de vote. A ce stade de l’observation, l’on ignore s’il s’agit d’une opération concertée ou d’un dysfonctionnement au sommet. En marge du premier cercle, des hommes de cour se prévalent d’une mission occulte de la Présidence et intriguent dans le même sens ; parmi eux, se dégage la figure de Sidi Ould Dahi, ancien parlementaire du parti de Ould Sid’Ahmed Taya et cousin de l’actuel Chef de l’Etat, le Colonel Ely Ould Mohamed Vall..
Le calcul de la dispersion des forces vise à fragiliser les associations politiques, morceler la représentation du peuple et la rendre, alors, plus réceptive aux marchandages entre clans. Le moment venu, cette atomisation contribuerait à la naissance d’une corporation de conservateurs, sous influence du Commandement.
Le 19 septembre 2006, le voile se lève sur les intentions de l’autorité de transition ; dans son éditorial, Horizons, l’organe officieux du gouvernement, défend la nécessité d’une « recomposition» ; l’auteur anonyme écrit « le salut du pays réside dans l’existence d’un large courant porteur d’un esprit novateur, juste et équilibré. » En ce sens, il énumère les sigles, vecteurs des appels au renouveau ; les fameuses initiatives surgissent, manifestement, du carnet de commande des services de renseignements. Et, pour mieux distiller le code d’une préférence sibylline, l’article prête la confirmation de l’argumentaire à une seule personnalité : Sidi Ould Cheikh Abdallahi, à titre exclusif, bénéficie, ici, d’une citation.
L’impartialité de la transition en Mauritanie vit ses dernières heures ; l’actuel putsch de la reprise en main consacre l’extinction des espoirs nés du 3 août 2006. Désormais, les arbitres trichent.
La société civile et les formations progressistes se taisent ou protestent peu, sacrifiant à la hantise d’indisposer les maîtres du moment et ce, au risque même d’y perdre leur raison d’être. Certains, en toute inconscience banalisent le cas et réduisent mêmes les présentes mises en garde à une publicité au profit d’un homme dépourvu d’atouts crédibles dans l’ambition de la magistrature suprême. Les bailleurs de fonds et autres partenaires stratégiques observent, pour l’instant, une certaine expectative mais leur détermination semble acquise à ne pas admettre un sabotage du processus démocratique.
Pour sa part, Conscience et Résistance maintient, sans aucune complaisance envisageable et quel qu’en soit le bénéficiaire, l’engagement à informer nos compatriotes et les amis de la Mauritanie, de toute entrave aux promesses de neutralité que les successeurs du Colonel Ould Sid’Ahmed Taya proclamèrent, à la face du monde, le lendemain d’un certain 3 août 2005. Nous rappelons, de même, combien la légitimité - seule ressource immunitaire contre les complots et l’insurrection armée – manque à un dispositif de décision, obtenu selon les forceps d’une fraude planifiée envers et contre des règles définies par consensus.
Conscience et Résistance Le 20 septembre 2006
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