Ultime témoignage de reconnaissanceAbderrahmane NGAIDE (Bassel)Tu as été emporté violemment. Je nai pas le détail de cet accident qui vous a coûté la vie, mais il a du être si violent que la vie navait de sens que la mort survenue. Elle survint. Jimagine vos derniers mots, cette conversation que personne nentendra. Je limagine joyeuse. Je limagine pleine et entière. Je me limagine depuis ce jours où jai appris cette nouvelle fatidique. Oui je limagine encore chaude, articulée et consciencieuse. Saïdou, dans ta tombe, les graines semées par toi enfonceront leurs racines, puisant leur alimentation féconde de ton murmure.Ton silence nest quassourdissant. Jentends au loin ta voix, cette voix imposante, assurée. Tu mas pris la main un jour de 1984, quand, feu, mon père guida mes pas jusque toi. Il me confia à toi. Oui, il me confia à toi. Car il savait quelle valeur tu représentais. Il le savait comme savent le voir nos devins. Il me confia à toi de manière solennelle. Oui de manière solennelle, car il savait lépaisseur de tes connaissances. Il voulait me voir suivre tes pas, être sous ton ombre imposante, être ton disciple au-delà de toute parenté avérée, au-delà de tout communautarisme affichée. Il voyait en toi lintelligence innée. Je ne pouvais découvrir lépaisseur ; car traînant encore avec moi ma fougue juvénile.Ce jour fut inoubliable pour moi. Tu entrais dans mon cur comme une lumière. Ce faisceau qui guide encore mes pas vers la « perfection ». Ce faisceau qui est source dhumilité, de sagesse, de ténacité, de persévérance. Jétais comblé, dès mes premiers pas à luniversité, dêtre parrainé par la lumière étanche de ton savoir multiséculaire. Jétais comblé de côtoyer la connaissance sans en mesurer, pour autant, limportance. Jadmire ce sourire coquin, cette subtilité de la langue, cette intelligence qui sépanche, qui embaume, qui provoque lesprit critique. Ta stature altière est imposante, car doublée dune connaissance profonde de lautre.Depuis notre première rencontre, je nai cessé de cultiver en moi cet esprit critique. Je ne prenais plus les choses à la légère, tellement le rayonnement de ton intelligence mavait pris au collet. Jétais suspendu à ton oui, quand papa dans un élan paternel avait souhaité que je sois éclairé. Javais choisi lhistoire après avoir hésité entre la philosophie et la sociologie. « Mon fils veut faire la même chose que toi ». Sentence entendue, tu nhésitas point pour mencourager à aller de lavant. Jétais le novice inné, lapolitique fait. Jétais comme tant dautres jeunes de ma génération inquiets devant lévolution de ma société, mais plein despoirs et dabnégation. Jai appris la sérénité auprès de toi, avec tes conseils de maître, de frère et de cousin. Oui, jai eu, comme tant dautres, la chance de te côtoyer, mes années de fragilité et dinsouciances. Je ne savais pas que deux années plus tard, je serais de lautre côté de la barrière pour écouter ce procès. Je revois encore cette pléiade dintellectuels massés devant un parterre de « juges ». Je revois vos poings levés après le verdict. Je vous revois dans cette voiture, vous acheminant vers ce qui allait être une prison transit. Je me souviens encore tous ces dimanches où je maventurais à venir vous saluer dans cette prison, le cur plein à craquer damertume et de joie. Damertume pour linjustice faite, de joie puisque vous étiez sincères par rapport au défi que vous vous êtes lancés.Inlassables, vous avez résisté à Oualata, même si des valeurs y ont laissé leurs vies. Elles ne sont pas perdues. Toute lutte est jalonnée de martyrs et cela permet de faire revivre la flamme allumée. Elle restera entre les mains de ceux qui en ont le lourd héritage, malgré les chemins qui se distendent. Aucune fatalité ne doit venir ternir cette image. Le peuple sen souviendra et lennemi ne sen glorifiera point. Il nest pas tranquille même sil semble vouloir le mimer. Non. Et les tergiversations politiques sur fond de mort le témoignent amplement. La sérénité et la croyance pisteront les voies à suivre.Tes années dincarcération, avec des amis dinfortune, furent un véritable moment de sevrage pour tous. Les rumeurs nous venaient de loin sur la mort de tel, sur la santé de lautre sans quon puisse en savoir plus. Mais nous étions avec vous dans lattente. Les années passèrent, lentes mais passèrent.Lexil advint comme source, ressource de prise de conscience. Lexil !!! Nous étions comme ceux de Goumel. Vous exilés forcés de lintérieur nous exilés dinfortune de lextérieur. Nos curs battaient ensemble sans se rencontrer. Nos corps souffraient ensemble sans se concerter. Cest dans la souffrance de lexil, que je te retrouverais par le détour dInternet. Jétais euphorique et voulais écrire un livre dhistoire. Je métais ouvert à toi avec un titre : Miroir brisé. Ton étonnement fut grand : je semblais avoir marché sur ta langue. Non je portais encore la lumière de la première rencontre. Ta confidence fut faite : tu avais le même thème en tête. Aujourdhui la mort à brisé le miroir. Mais les tessons de ce dernier, sous les rayons du soleil, projettent de la lumière. Pour toi jécrirais ce miroir brisé. Pour toi je recollerais ses morceaux. Jen déposerais un exemplaire sur ta tombe. Et je suis sûr que tu en seras heureux comme tu me las toujours signifié. Notre rencontre était imminente, mais la mort en a décidé autrement. Advienne que pourras, je porterais sur moi lobligation de te rendre hommage. Déjà deux textes te sont dédiés et seront publiés bientôt et leur large diffusion sera le gage de mon engagement à te rendre hommage. Jen ai retardé la publication pour te rendre lhommage que tu mérites et je suis sûr que tu aurais apprécié.Je te dédie ce texte fini quelques jours avant ta disparition et il porte sur un sujet que tu apprécies, car il traite des relations sénégalo-mauritaniennes sur la longue durée et de cette nécessité pressante que la Mauritanie révise son attitude vis-à-vis de lintégration ouest-africaine. Tu étais ouest-africain, le symbole de cette symbiose que je décline dans ce texte. Il test dédié et sera sur le marché de la connaissance sous peu de temps, dans le cadre dun livre sur lEtat nation face au défi de lintégration sous-régionale. Il est intitulé « Peuplades anarchiques contre Nations à construire. Intégration invisible dans le bassin sénégalo-mauritanien. Epreuve du peuple et/ou équation de lEtat-nation ». Tu adorais rappeler à tous les liens insoupçonnables qui unissaient ces deux mondes que les nationalismes sont venus éloigner lun de lautre comme si jamais ils nont eu que des relations conflictuels. Non, je suis de ton avis. Je le démontre sur la base de lhistoire. Ton métier. Le métier que je voulais exercer quand, suivant les pas de mon père, jétais venu me confier à toi. Il y a plus de vingt ans. Je ne le regrette point.Le second sera encore plus largement diffusé à travers le monde et surtout à travers ta chère Afrique. Il porte sur la notion de jugement des crimes commis, sur la notion de pardon et de réconciliation nationale pour lesquels tu oeuvrais sans relâche et cela ta coûté la vie. Quelle noblesse. La noblesse du mort. Si tu étais là, tu allais savoir, combien tous taiment, combien tous sont orphelins, combien tous regrettent et découvrent le yolnde : ce vide incaractérisable que tu laisses derrière toi. On ne peut le combler. Non impossible. Chaque être est un maillon de la chaîne du monde. Sa place sera toujours vide, sil sabsente. Mais es-tu réellement absent ? Cela dépendra de nous et de ce que nous ferons de ton héritage. Nous célébrons rarement nos morts. Pour toi je relance ce défi décrire ce livre : Miroir brisé.Le Sénégal ta rendu un hommage, nous attendons celui de ta nation.Le cimetière de Rosso sera un lieu de pèlerinage. Amen.Dakar, le 02/10/2006
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