Retour sur les origines de la crise actuelle dite des « indépendants »
Au lendemain de la révolution de palais du 3 août, et dans l’incompréhension quasi générale d’une opinion « publique » éclairée transie de reconnaissance à l’égard des putschistes, je dus, dans la hâte, rédiger un article qui valut à l’époque beaucoup de critiques à l’UFP dont je suis l’un des responsables, en dépit de ma signature personnelle. Il s’intitulait : « La classe politique face à son destin : quelle voie pour une transition démocratique ? »
L’objectif n’était évidemment pas de dénigrer nos principaux alliés de l’opposition d’alors - dont ni la sincérité ni le courage face aux épreuves n’étaient en cause – et qui tous sont membres aujourd’hui de la Coalition des Forces de Changement démocratique.
Il s’agissait avant tout, de prévenir les désillusions et le désenchantement futurs qu’induit toujours (l’expérience du 12 /12 notamment le prouve) une trop grande confiance au coup de force comme voie de règlement des contradictions de pouvoir et, surtout, à la classe militaire dont il sert souvent de relais dans sa fuite en avant pour renouveler ses assises, tout en conservant, consciemment ou non, sous les formes les plus subtiles, son hégémonie, ses prébendes, sa clientèle et ses orientations stratégiques nationales.
La crise de confiance actuelle entre « classe politique »- y compris la « société civile »- et « classe militaire » -qui entend ( qui vivra verra !) à tous dicter la marche à suivre pour les dix prochaines années encore au moins, était de mon point de vue inéluctable. Dès l’origine.
Elle sera plus aiguë et encore plus dangereuse si les uns et les autres ne prenaient pas la juste mesure des choses concernant d’une part, le réel désir du peuple dans son ensemble de tourner maintenant et définitivement la page sombre de l’histoire politique de ces dernières décennies, de construire un nouvel environnement économique, politique et social et, d’autre part, l’exigence absolue que cette révolution en marche, soit tranquille, qu’elle ne fasse l’impasse sur aucune des questions qui préoccupent le peuple et qu’elle recoure au compromis et au dialogue démocratiques comme modes de règlement de nos contradictions les plus importantes.
Avant de revenir sur certains des aspects de la crise politique actuelle dite des « indépendants » dans un prochain article, je me permets donc –avec la compréhension bienveillante des lecteurs- de remettre à l’attention du public ces quelques lignes qui valurent à mon parti, par ma faute si j’ose dire, bien des déboires lors de sa publication dans le Calame suivant la semaine du Coup d’Etat.
Hormis peut –être, le ton parfois agacé ou véhément, je n’en regrette pour ma part aucune ligne, d’autant plus que, aujourd’hui, comme d’habitude en Mauritanie, à la faveur de la crise actuelle se développe notre sport national n° 1 : l’amnésie et son corollaire : mettre au bûcher le soir ce que l’on a plutôt adoré le matin ! Nombre des critiques actuels des militaires ont tout bonnement oublié leur jubilation poétique en leur faveur lorsqu’ils eurent la certitude absolue de l’éviction définitive du Dictateur en chef de naguère…
Je me suis tout juste permis de surligner certains passages de manière à mieux faire ressortir les aspects saillants de l’analyse qui s’appuie pour l’essentiel sur les positions de principe de l’UFP et mettre en lumière certains éléments du contexte d’alors.
Bonne lecture ou relecture
Lô Gourmo Abdoul, Chargé des relations internationales et de l’Emigration de l’UFP.
La classe politique face à son destin : quelle voie pour une transition démocratique ?
Depuis le Coup d’Etat du 03 août dernier, une partie essentielle de la classe politique de notre pays a révélé au monde une nature inquiétante : celle d’être faiblement attachée aux principes qu’elle a toujours proclamés, prompte à changer de direction au moindre coup de vent et, surtout, putschiste… dans l’âme ou par calculs politiciens.
L’on se souvient encore des déclarations des uns et des autres à chaque lendemain d’échec des coups de forces qui ont émaillé l’actualité politique de ces dernières années. La main sur le cœur, ils ont invariablement dénoncé ces tentatives, s’en sont démarqués avec profusion et rappelé leur profession de foi républicaine à grands renforts de citations des classiques. Voilà que le 3 août, la perfide Histoire les prend au mot et leur offre l’occasion de prouver à une opinion blasée par la roublardise et les retournements de veste des politiciens , la sincérité de leurs engagements en faveur des principes et des règles démocratiques ressassés depuis 14 ans. Voilà qu’alors et depuis lors, se sentant comme libérée de toute entrave , cette classe se fait la championne du Coup d’Etat réussi et la pourfendeuse de toute critique émise à l’encontre de cette manière d’accéder au pouvoir, ici ou dans le monde. Elle n’est donc opposée qu’au putsch qui échoue, puisqu’elle est pour celui qui réussit…
Mais le putschisme n’est pas seulement dans l’acceptation de la manière d’accéder au pouvoir par un complot d’hommes animés des meilleures intentions du monde, propres comme des sous neufs et sincères dans leur amour du peuple. Le putschisme est dans la conception même de la suite du Coup de force, de l’après prise de pouvoir par des militaires professionnels ; il est dans la manière d’envisager le processus de normalisation politique qui marque la transition. C’est là, précisément que se révèle, pour ainsi dire sans fard, sans dissimulation , la justesse ou non de la stratégie des uns et des autres.
Or, depuis ce 03 août à quoi assiste t-on de la part de l’essentiel de la classe politique de ce pays ? On assiste à l’orchestration d’une formidable opération de bradage des principes démocratiques et de reniement des valeurs républicaines dont ils s’étaient faits les gardiens attitrés. De deux manières. D’abord par un sabotage minutieux de toute réaction homogène et concertée de cette classe politique face aux évènements, face aux nouvelles autorités militaires et devant notre peuple et le reste du monde. Ce faisant, elle s’est émiettée à souhait et sabordée comme facteur cohérent et acteur collectif conséquent d’une transition démocratique apaisée, condition de la paix et de la stabilité futures. Ensuite, et fatalement, en s’en tenant passivement à réagir aux initiatives, mêmes louables, des nouvelles autorités militaires et, surtout, en se dépouillant de ses propres prérogatives de classe politique au profit de la classe militaire du pays, nonobstant le mérite ou les qualités de ses chefs.
Malgré les efforts de l’UFP, du PCDM et du FP pour amener, dès le premier jour du Coup d’Etat, les partis politiques de l’ex-opposition démocratique à se concerter – ce qui relève du bon sens le plus élémentaire-, ces derniers n’ont , pas une seule fois,
réussi à se rencontrer. Tous les prétextes ont été trouvés pour faire reporter au dernier moment, les rendez-vous et empêcher cette concertation pour une approche commune, à défaut d’ une même position, face aux évènements.
La vérité est que, face à la nouvelle donne et dans le fol espoir d’en tirer un profit personnel de groupe, la plupart des leaders de cette ex opposition ont choisi de faire cavalier seul en ces moments où , plus que jamais, s’imposent justement les compromis et le sens de l’intérêt commun. Cette attitude de fuite devant les responsabilités est grosse de dangers pour le pays, sa stabilité et l’enracinement de sa démocratie, puisqu’elle confirme l’idée de l’incapacité des politiques mauritaniens à convenir de quoi que ce soit, ouvre la voie à de futures confrontations et augure de graves dérapages dans les futures compétitions, comme on le voit un peu partout en Afrique, particulièrement en Côte d’Ivoire . Du coup, le nouveau régime se trouve comme légitimé dans sa démarche de gestion unilatérale du processus de transition et justifié, ex post facto, dans sa vision de la marche à suivre pour mettre fin aux anomalies et blocages du processus démocratique.
Au lendemain du Coup d’Etat, deux options de transition étaient possibles. Elles le sont toujours, d’ailleurs , fondamentalement.
La première est celle qui implique, entre tous les acteurs de la vie publique, un accord qui définisse et détermine les conditions de cette transition. Peu importerait les conditions dans lesquelles cet accord serait formellement conclu : suite à une conférence générale, à un Forum ou à une rencontre comme celle qu’a convoqué au Palais Présidentiel le nouveau Chef de l’Etat le 06 août. Cet accord aurait servi de cadre général, de protocole de références à tous et aurait permis de rendre plus évident le consensus autour du changement en cours. Des négociations se seraient déroulées autour des institutions à conserver ou à instaurer pour cette période qui s’ouvre et un agenda élaboré, qui aurait tenu lieu de feuille de route pour les uns et les autres.
Il ne fait pas de doute qu’un tel accord-cadre atténuerait les critiques de l’étranger vis à vis du régime actuel issu d’un Coup d’Etat et les risques de sanctions qu’encoure toujours notre pays. Il aurait rendu plus difficiles les règlements de compte entre les protagonistes de la transition en entravant les velléités d’aventurisme et, en particulier le Gbagboïsme. Hélas, hélas ! hélas ! En refusant toute concertation entre les partis au lendemain du putsch, certains des Chefs de l’ex opposition ont rendu impossible cet accord pourtant crucial pour la maîtrise consensuelle de la transition.
De surcroît, pour l’UFP, un tel accord aurait rendu plus aisé la constitution d’un gouvernement de large consensus dont le programme et les conditions d’activités auraient été clairement acceptés par l’essentiel des protagonistes de la scène publique. Sa mission, pensons nous, aurait été de :
« -gérer les affaires courantes du pays
-organiser un referendum constitutionnel sur les futures institutions
-d’élaborer et de proposer au Conseil militaire l’adoption des lois nécessaires à une véritable normalisation démocratique
-de prendre les mesures nécessaires à la réconciliation nationale (amnistie, retour des déportés et réparations des torts subis par certaines franges de notre population…)
-d’organiser des élections libres, démocratiques et transparentes pour les prochaines échéances électorales
-d’assurer le respect de toutes les libertés démocratiques ».
Le peuple aurait donc eu son mot à dire tout au long des évènements et les partis auraient enrichi et renforcé par leurs propositions consensuelles les engagements des nouveaux venus.
La seconde option est celle rendue désormais pratiquement inévitable par le comportement de sauve-qui-peut général et de ralliement sans réserves ni conditions, de la quasi totalité des partis politiques de l’ex opposition et de l’ex parti présidentiel, à la conception en matière de transition, des nouvelles autorités du pays. Cette conception est animée par une logique toute simple : l’Armée a pris le pouvoir pour instaurer les conditions de la démocratie. L’Armée détermine et maîtrise les conditions de la transition. Elle choisit le gouvernement en charge des affaires et veille au respect de ses orientations. Pour le reste, le cadre démocratique serait conservé et les reformes nécessaires, instaurées par la seule bonne volonté du régime en place.
Dans tout autre pays en Afrique, aujourd’hui, une telle option aurait été jugée parfaitement inacceptable par les partis politiques et les organisations de la société civile. En Mauritanie, cette voie unilatérale, même atténuée dans sa rigueur, par les promesses de concertation et les premières et justes mesures prises par le Conseil Militaire ou énoncées par son Chef , est pour ainsi dire, balisée pour ne pas dire imposée par l’attitude d’abandon des chefs traditionnels d’une partie de l’ex opposition, de leurs prérogatives de chefs de la classe politique. Il est pénible de penser que ce réflexe de ralliement sans conditions ni réserves a peut-être noué le nœud de dramatiques futurs malentendus.
Toujours est-il qu’il serait parfaitement injuste de faire le reproche aux Colonels d’avoir fait ce que les politiques ont appelé de leurs vœux ou font semblant, par calculs politiciens, d’avoir accepté en attendant d’affûter leurs armes pour une course effrénée et périlleuse pour le pouvoir et un jeu malsain de leadership mal ficelé. Bientôt, critiques stridentes, remontrances et coups tordus fuseront lorsque les prenant au mot, le Conseil militaire jouera le jeu dont il aura fixé seul les règles.
Le nouveau Chef de l’Etat, dans le cadre de cette démarche et suivant la logique qu’impose la faillite générale ( même momentanée) de la classe politique a annoncé de bonnes mesures qui méritent dans ce contexte, d’être en elles mêmes soutenues. Toutes ces mesures rejoignent ou reprennent en effet les revendications de l’ex opposition. La plupart d’entre elles n’auraient probablement pas été acceptées par le régime précédent comme par exemple, au plan constitutionnel, la révision de la durée et du nombre des mandats du Président de la République, sans parler des garanties précises et fermes qu’il a données quant aux conditions de déroulement des futures élections. Elles méritent donc un soutien ferme et lucide de la part des acteurs politiques. C’est tout à l’honneur des nouveaux hommes au pouvoir.
Mais ils ne doivent pas être aidés par l’ampleur des claquements de mains ou la virulence des attaques sans principes contre le reste du monde, l’Union Africaine ou Koffi Annan dont tout le monde sait qu’ils ne peuvent rien faire d’autre que de condamner, par principe, et à juste raison, les Coups d’Etat ou de force comme moyens d’accéder au pouvoir- ce que le nouveau régime semble curieusement mieux comprendre que nombre des leaders de l’ex opposition.
En fait, la seule façon d’aider ces nouvelles autorités est de leur tenir un langage de justice et de vérité, en les encourageant sincèrement à agir avec un esprit modéré, tolérant, patriotique et de large consensus.
Malgré les pas accomplis ces derniers mois en matière de dialogue politique, fondamentalement, systémiquement, la machine politique du pays est demeuré grippé, incapable de répondre aux besoins actuels de notre pays. Le discours du nouveau Chef de l’Etat tenu devant les acteurs publics semble indiquer qu’il en est parfaitement conscient. Mais ce qui ne relève pas de lui, c’est la hauteur de vue et le sens de l’histoire que doivent avoir les hommes politiques, les Chefs de partis en tout premier lieu, afin d’imprimer leurs marques positives sur le cours des évènements et assumer leur commune responsabilité devant cette histoire du pays.
Il est urgent de définir en commun et d’appliquer sans tarder les règles qui contribueront à créer cette culture partagée de la démocratie sans laquelle aucune transition ni , a fortiori, aucune alternance future ne pourraient être viables, c’est à dire, acceptées par tous et dans la stabilité.
Nous sommes à nouveau face à notre destin. Agissons en conséquence, dans le respect de nos intérêts communs, actuels et futurs.
Lô Gourmo Abdoul.
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