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Les Nouvelles de Roumanie
Roumanie : qui a collaboré avec la Securitate?
Mise en ligne : mercredi 28 mars 2007

Qui a collaboré avec la Securitate, la police secrète du régime communiste ?
Pourquoi ? Quand ? Ces interrogations sont au centre de la grande question
qui agite tout le pays depuis plusieurs années, et que les Roumains
appellent la « déconspiration ». Autrement dit, la révélation du passé de
ceux qui jouent un rôle de premier plan aujourd’hui dans le pays.

Le sujet est brûlant car l’énorme majorité d’entre eux ont plus ou moins
pactisé avec l’ancien pouvoir, quand ils n’en sont pas issus directement.
Chaque corporation essaie de se protéger, arguant de son statut qui l’avait
obligé à « coopérer » avec les autorités : journalistes, politiciens,
magistrats, militaires, enseignants, cadres de l’administration, etc. Le
clergé est celui qui rechigne le plus à dévoiler ses compromissions, à la
fois les niant et arguant de sa position « insoupçonnable ».

Racolage dès le lycée

Pourtant, ces centaines de milliers d’informateurs de la Securitate -
parfois on avance même le chiffre de six millions (un Roumain sur quatre),
en prenant en compte les délations ponctuelles - ont bien existé. Mais ils
recouvrent une réalité complexe. Vengeance, jalousie, peur, couardise,
réflexes conditionnés, chantage, voire « patriotisme », pouvaient conduire à
devenir un collaborateur. Ainsi, Pavel, condamné à mort, puis à 13 ans de
prison, pour son action contre le régime, a-t-il découvert que sa femme
tenait au courant la Securitate de ses faits et gestes quand il était détenu
: c’était le prix à payer pour que ses enfants puissent aller à l’école et
qu’elle garde son travail.

Récemment, le quotidien Ziua a décidé de « déconspirer » sa rédaction, sur
la base du volontariat. Son directeur, Sorin Rosca Stanescu, avait déjà
révélé, au début des années 1990, avoir été un agent de la Securitate. Deux
journalistes, et pas n’importe lesquels, ont reconnu cette même complicité.

Adrian Patrusca, le rédacteur en chef, a raconté dans un article comment il
avait été raccolé par le « sécuriste » du lycée quant il préparait le bac et
s’apprêtait à monter un groupe de rock - un genre musical pas très bien vu à
l’époque - afin de surveiller ses copains. « J’en ai parlé à mes parents qui
m’ont encouragé à refuser, la Securitate ne pouvant pas m’y obliger. Mais
j’ai eu peur et j’ai cédé ».

« Il suffisait de dire non et de se taire »

Valentin Hossu-Longin, numéro deux de la rédaction, a aussi reconnu sa
collaboration quant il travaillait à la revue La Roumanie pittoresque,
indiquant qu’il rédigeait des fiches sur ses collègues.

Cette confession a provoqué la stupéfaction de son ex-femme, Lucia
Hossu-Longin, une réalisatrice de télévision rendue célèbre par la série de
documentaires qu’elle a tournée, après 1990, intitulée « La mémoire de la
souffrance ». « Jamais je n’aurais imaginé cela. Il ne m’en a pas parlé »,
confie-t-elle. « Il avait pourtant toutes les raisons de refuser. Son père
était un héros, condamné à mort par les communistes, envoyé au Canal. Il a
assisté à son procès. Il avait douze ans, il a été malmené. Des agitateurs
l’ont poussé contre un mur, lui ont craché au visage ainsi qu’aux autres
membres de sa famille. On a pris leur maison et on les a envoyés vivre dans
une cave. Ce qu’il a fait est impardonnable ».

Lucia Hossu-Longin pense que son ex-mari a cédé par peur de revivre de tels
moments, mais aussi par faiblesse de caractère. « Ainsi est l’homme, avec
ses limites », concède-t-elle, relevant que les familles des détenus
politiques étaient plus vulnérables, « car elles avaient la peur dans le
sang ». « La Securitate faisait pression sur elles, les menaçant, pour
obtenir leur collaboration. Dans les zones de montagne où il y avait eu de
la résistance armée, toutes les familles ont été torturées afin de trahir
frères, sœurs, père et ainsi de suite ».

La réalisatrice confie avoir été approchée par deux fois par la Securitate
et l’avoir éconduite, martelant : « personne n’était obligé de travailler
avec eux. Il suffisait de dire non et se taire ».

Terroriser et tenir la population dans sa main sans avoir à bouger le petit
doigt

La méfiance était devenue un réflexe conditionné. Il ne fallait jamais se
livrer à la moindre critique du système en public, cela allait tout autant
de soi avec ses collègues de travail. Les Roumains ne pouvaient donner le
fond de leur pensée qu’aux amis les plus sûrs. Même en famille, la prudence
était de règle, les parents montrant souvent l’exemple de la discrétion. Les
enfants, un frère, pouvaient bavarder inconsidérément. Pour une blague sur
le compte du « Conducator » [le dictateur Ceausescu], revenue aux oreilles
de la milice, un étudiant pouvait se voir exclu de l’Université. Pourtant,
cela n’empêchait pas les blagues de circuler, comme une forme de résistance.

Le traumatisme est resté longtemps. Deux ans après la chute du régime, dans
sa fermette de Bucovine éloignée de plusieurs centaines de mètres de toute
autre habitation, Adrian parlait encore en chuchotant à ses hôtes étrangers
de la situation du pays.

La Securitate pouvait être fière. Elle avait réussi son entreprise. En
institutionnalisant délation et peur, en amenant les Roumains à se
surveiller mutuellement et à se méfier les uns des autres, elle terrorisait
et tenait la population dans sa main... sans avoir pratiquement à bouger le
petit doigt.

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