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Date: Mon, 11 Nov 2002 23:16:46 +0100
Subject: [multitudes-infos] La Guerre de l'Empire

La Guerre de l'Empire : logique de l'exception et retour de la souveraineté
John Brown

« Remota itaque iustitia quid sunt regna nisi magna latrocinia? quia et
latrocinia quid sunt nisi parua regna? » Augustinus. De Civitate Dei.
IV.4

Introduction
(Le Département d'Etat à l'écoute de N. Chomsky ?)

Noam Chomsky, avait rappelé dans son intervention publique à Porto Alegre
que, s'il y avait un acteur politique dans ce monde dont la pratique
correspondait à la définition du terrorisme du Département de la Défense des
USA, c'était bien l'administration américaine. En effet, l'intervention en
Afghanistan (et bien d'autres auparavant) constituaient conformément à cette
définition : « Une utilisation calculée de la violence ou de la menace d'une
action violente dont le but est de contraindre ou d'intimider des
gouvernements ou des sociétés dans la poursuite de buts qui sont
généralement de nature politique, religieuse ou idéologique » .

Cette définition a été changée par le Département de la Défense depuis le
mois de décembre 2001 et le mot « violence » est désormais accompagné du
qualificatif « illégale » ou « illégitime », en anglais « unlawful ». La
constatation de Chomsky n 'a probablement joué aucun rôle dans cette
importante modification ; celle-ci était devenue indispensable dans le cadre
du programme d'utilisation généralisée de la violence politique calculée
qui, après le 11 septembre caractérise l'action extérieure de l'
administration américaine.

Si la première définition -qui date de 1994- se bornait à délimiter le
concept de terrorisme, la deuxième suppose l'existence d'une exception dans
les cas où le sujet des actes qui définissent le terrorisme agirait de façon
légitime (lawful). Dans le premier cas, la violence d'Etat demeurait
pudiquement cachée; dans le deuxième, elle apparaît comme l'envers
légitime » du terrorisme. Un terrorisme qui ne porte plus ce nom parce qu'
il est pratiqué par les Etats Unis et subsidiairement par leurs alliés.

Il s'agit donc, dans la définition la plus récente de rendre explicite cette
exception. Ce qui est nouveau ce n'est pas que l'Etat -et plus concrètement
l'Etat américain- ne se soit jamais privé d'exercer la violence politique
contre la population d'autres pays et contre son propre peuple, mais qu'il
reconnaisse ouvertement que l'exercice de cette violence est pour lui un
droit légitime. Nous considérons ce petit ajout comme un signe éclairant du
processus constituant qui est en cours et qui vise à établir une
souveraineté au niveau mondial. L'établissement de cette nouvelle
souveraineté met en question l'ensemble du droit international et subvertit
également l'Etat de droit au niveau national. D'autre part, la nouvelle
souveraineté est forcée dans la recherche d'une légitimation à mener une
guerre permanente dans laquelle l'ennemi est toujours à redéfinir.

Ayant abandonné tout souci de légitimation par un pacte social fondé sur la
redistribution de la richesse et sur des politiques de développement dans le
Tiers Monde, il ne peut désormais obtenir l'acquiescence de ses sujets qu'en
se plaçant de façon permanente dans une situation de risque existentiel
réelle ou entièrement forgée. L'Etat, réduit à la formule minimale dans le
néolibéralisme devient l'instance qui protège les individus et les peuples
du risque de l'Autre au moyen d'une guerre sans fin. Il doit, dans le cadre
d'une exception permanente, toujours se présenter comme s'il était au bord
du gouffre. La menace extérieure et l'insécurité intérieure, dont les
limites ne sont d'ailleurs plus claires, sont les deux grands piliers de son
autorité.

Logique de l'exception

Tout d'abord, nous devons faire face à un problème de logique : si la
violation du droit par un Etat est promue au rang d'un droit légitime, nous
nous trouvons devant un paradoxe flagrant. En effet, une norme légale
reconnaît explicitement à un certain sujet « légitime » le droit de la
transgresser. Ceci a pour conséquence que, si ce sujet agit illégalement, il
est dans la légalité, puisque la loi le tient pour le seul possible auteur
légitime de la transgression et que, pour la même raison, tout en agissant
légalement, il pourra transgresser la loi. Ainsi, l'Etat américain, hier en
Afghanistan et demain, si rien ne l'en empêche, en Irak, réalisera des actes
qu'il définit lui-même comme terroristes. S'il commet des actes de
terrorisme quand il juge qu'il est nécessaire de le faire, il ne contrevient
pas sa propre légalité, puisqu'il agit de façon légitime, et s'il agit en
toute légalité il peut inclure parmi ses actes ceux qu'il qualifie chez d'
autres sujets de terroristes. Dans la situation exceptionnelle qui est la
sienne, le souverain est toujours à l'intérieur et à l'extérieur de la loi.
Selon Carl Schmitt : « Le cas d'exception révèle avec la plus grande clarté
l'essence de l'autorité de l'Etat. C'est là que la décision se sépare de la
norme juridique et (pour le formuler paradoxalement), là l'autorité démontre
que, pour créer le droit, il n'est nul besoin d'être dans son bon droit.»

Le paradoxe de la souveraineté constitue un cas particulier du paradoxe des
ensembles : considérons l'ensemble de tous les ensembles ne se contenant pas
eux-mêmes. Se contient-il lui-même? Si oui il contredit la définition de l'
élément de l'ensemble qu'il est lui-même. Si non, il ne satisfait pas sa
propre définition en tant qu'ensemble. La forme la plus populaire de ce
paradoxe est le paradoxe du barbier : considérons un barbier qui rase
exclusivement tous les hommes ne se rasant pas eux-mêmes. Se rase-t-il
lui-même? Si oui, il ne satisfait pas à la propriété qui le définit, si non,
il n'est pas barbier. Considérons dans notre cas un Etat qui incriminerait
comme terroristes les actes de ceux qui -n'ayant pas de légitimité pour le
faire- n'incriminent pas le terrorisme. Quand l'Etat qui incrimine le
terrorisme le pratique à la fois, s'incrimine-t-il lui-même ? Oui, parce qu
'il ne l'incrimine pas quand il le pratique. Non, parce que ce qu'il
pratique n'est pas du terrorisme du moment qu'il l'incrimine.


Cette logique de l'exception est depuis son origine celle de l'Etat
souverain moderne dont le souverain est dans le même temps à l'intérieur et
à l'extérieur de l'ordre juridique. Il se trouve à l'extérieur de l'ordre
juridique quand il décide de l'exception, quand il reconnaît les risques
existentiels qu'encourt l'Etat et notamment quand il nomme l'ennemi comme l'
origine de ce risque. L'horizon du politique dans une théorie de la
souveraineté est toujours celui de la guerre : « Le cas de guerre est resté,
jusqu'à présent, l'épreuve décisive par excellence[.]Un monde d'où l'
éventualité de cette lutte aurait été entièrement écartée et bannie, une
planète définitivement pacifiée serait un monde sans discrimination de l'ami
et de l'ennemi et par conséquent un monde sans politique » .

Nous trouvons dans l'actualité immédiate, caractérisée par un processus
constituant qui se déroule au niveau mondial, de nombreuses illustrations de
cette position. La production systématique d'un casus belli dans le but d'
intervenir dans un pays pour défendre certains intérêts était quelque chose
de familier bien avant la première guerre du Golfe et la guerre du Kosovo.
Cependant, jamais d'une façon aussi claire qu'aujourd'hui, quand les Etats
Unis essaient d'imposer une guerre contre l'Irak, cette logique de l'
exception souveraine n'a été aussi manifeste. Jamais, non plus, elle n'a
montré son aspect constituant de façon si explicite. Nous en prendrons pour
illustration la justification de l'attaque « préventive » contre l'Irak de
la part de l'administration Bush et de certains de ses « alliés » européens.

La marche vers Baghdad

Pour rappel, cette nouvelle dynamique politico-militaire s'inscrit dans le
cadre de la restructuration des rapports d'hégémonie après le 11 septembre
2001. La première réaction du gouvernement américain après les attentats fut
de proclamer une guerre « contre X » dont le premier but fut l'Afghanistan,
mais qui est vouée à se prolonger dans des attaques contre un nombre
indéfini d'Etats voyous. Si l'attaque contre l'Afghanistan fut approuvée par
le Conseil de sécurité en violation flagrante de la Charte des Nations Unies
, sous prétexte que le gouvernement des talibans hébergeait Ben Laden,
aujourd'hui le casus belli contre l'Irak est plus difficile à établir. D'un
côté, il est absurde d'affirmer que le régime laïque irakien soit l'allié d'
une organisation intégriste comme Al Qaeda qui lui voue une hostilité
profonde. L'argument pour attaquer l'Irak doit être cherché ailleurs : dans
le fait improbable que ce pays ruiné par les sanctions serait d'après l'
administration Bush en mesure de produire des armes de destruction massive
qui menaceraient les Etats Unis. L'Irak en réponse aux premières menaces
américaines a autorisé le retour sans restriction des inspecteurs d'armement
des Nations Unies sur son territoire pour prouver qu'il ne possède pas de
telles armes et se conformer aux résolutions des Nations Unies à son égard.
Ceci n'a pas été jugé suffisant par le gouvernement américain. Pour lui, la
résolution des Nations Unies qui sert de base aux inspections doit être
changée et remplacée par un texte plus dur et probablement inacceptable pour
l'Irak puisqu'il impliquerait -comme pour la Yougoslavie lors des accords
frustrés de Rambouillet- une présence militaire américaine en territoire
irakien. Parallèlement, le Président Bush et d'autres membres de son
administration ne cachent pas que leur but n'est pas de faire respecter la
loi internationale mais de forcer un changement de régime en Irak, voire de
faire assassiner Saddam Hussein.
Dans ce contexte Donald Rumsfeld, énonce un principe épistémologique qui
illustre parfaitement cette logique d'exception : « the absence of evidence
is not the evidence of absence » (l'absence de preuves ne constitue pas la
preuve de l'absence.d'armes de destruction massive). Au delà de toute
logique juridique, Rumsfeld propose de justifier une guerre d'agression
contre l'Irak.parce qu'on ne sait jamais. Si la norme pénale exige que le
crime soit prouvé avant de punir le coupable, ici l'absence de preuves du
crime ne prouve rien. L'ennemi est, en effet, désigné de façon souveraine et
cette désignation n'a donc plus à se faire dans le cadre du droit.L'idée d'
une guerre « préventive », qui est à la base de la nouvelle doctrine de
sécurité nationale de l'administration Bush est bien une expression de l'
émergence d'une nouvelle souveraineté planétaire.

De l'ordre juridique mondial à l'Empire souverain

Dans la marche forcée vers l'attaque contre l'Irak, il faut relever que le
processus de justification de l'intervention a lieu sur deux plans
contradictoires : d'un côté, il y une volonté de sauvegarder la forme des
institutions internationales en faisant avaliser l'ensemble du processus par
les Nations Unies, mais d'un autre côté, il est essentiel pour les USA de
montrer qu'il existe un pouvoir souverain au niveau mondial qui s'exprime à
travers les dirigeants de ce pays. Nous avons ainsi un cadre juridique, mais
aussi un sujet soucieux de se situer également en exception par rapport à
lui. La souveraineté s'exprime ainsi très classiquement dans une relation
paradoxale au droit. La force ne suffit pas à asseoir la souveraineté,
puisque celle-ci doit d'exprimer comme exception : elle doit être à la fois
à l'intérieur et à l'extérieur du droit.

Le système des Nations Unies vise à une régulation juridique des rapports
internationaux. Le grand théoricien du droit qui fut à son origine, Hans
Kelsen, cherchait à remplacer la logique de la souveraineté et de la guerre
par des normes juridiques de portée universelle qui engagent les membres de
Nations Unies et qui excluent la guerre comme instrument des relations
internationales. "L'idée de souveraineté doit être radicalement éliminée...
la conception de la souveraineté de l'Etat lui-même est aujourd'hui un
obstacle à tout ceux qui envisagent l'élaboration d'un ordre juridique
international, inséré dans une organisation prévoyant la division planétaire
du travail; cette idée de souveraineté empêche les organes spéciaux de
fonctionner pour que nous débouchions sur le perfectionnement, l'application
et l'actualisation du droit international, bloque l'évolution de la
communauté internationale en direction d'une... civitas maxima (y compris
dans le sens politique et matériel du mot) . C'est là une tâche infinie que
la constitution de cet Etat mondial dans lequel nous devons, par tous nos
efforts, placer l'organisation mondiale" Ceci implique une éclipse de la
souveraineté classique et entraîne une primauté de l'ordre juridique mondial
sur le droit à la guerre et le droit de la guerre. L'idée d'une épreuve de
force décisive entre Etats est remplacée par celle d'un ordre légal maintenu
par une force commune. Ce système, malgré les constantes violations de ses
règles de base, a pu maintenir une existence apparente dans le cadre de la
guerre froide qui rendait impossible l'émergence d'une authentique
souveraineté mondiale. Après l'effondrement du bloc soviétique, ce semblant
ne peut plus être maintenu et le retour de la souveraineté est désormais à l
'ordre du jour. Sauf que la nouvelle souveraineté ne reconnaît plus qu'un
seul sujet.

Ceci est bien illustré par les avatars de la Cour pénale internationale.
Cette cour a pour but de juger le génocide, les crimes contre l'humanité et
les crimes de guerre dans le sillage du tribunal de Nuremberg. Elle s'
inscrit de plein droit dans le système des Nations Unies et avait reçu en
juillet 2002 un nombre suffisant d'adhésions d'Etats du monde entier pour
entrer en fonctionnement. Les Etats Unis ne la reconnaissent pas et font de
leur mieux pour en empêcher le fonctionnement. Entre autres mesures, ils ont
approuvé un acte sur la responsabilité de leurs agents (ASPA) qui cherche à
les soustraire à l'action de la cour et proposent aux différents Etats qui
ont adhéré aux Statuts de la cour des accords bilatéraux d'immunité pour les
ressortissants des Etats Unis. Conformément à ces accords, il serait de la
compétence des tribunaux américains de juger les citoyens américains accusés
de crimes des actes poursuivis par la Cour pénale internationale. On peut se
demander quel sera le résultat de ces jugements, du moment que les Etats
Unis se réservent explicitement le droit de pratiquer ces actes qui chez d'
autres relèveraient du terrorisme ou des plus graves crimes internationaux.
Il serait de toute évidence impossible qu'une cour américaine condamne les
pilotes américains qui ont détruit des installations civiles en Irak ou en
Yougoslavie en suivant des ordres.

L'UE, qui soutient unanimement la cour s'est trouvée divisée du fait que
certains de ses Etats membres ont souscrit ou s'apprêtent à souscrire de
tels accords avec les Etats Unis (Grande Bretagne, Espagne, Italie.). Pour
retrouver une position unitaire, le Conseil de l'UE a autorisé ses Etats
membres à souscrire de tels accords dans le cadre de certaines limitations
plutôt rhétoriques que réelles qui veulent établir une subtile distinction
entre l'impunité et l'immunité : « toute solution doit inclure des
dispositions opérationnelles adéquates pour garantir que les personnes qui
auraient commis des crimes qui tombent sous la juridiction de la Cour ne
jouissent pas d'impunité. Ces dispositions devraient garantir une
investigation adéquate et lorsqu'il y aurait des preuves suffisantes, l'
inculpation par des tribunaux nationaux des personnes réclamées par la Cour
pénale internationale » . Ceci revient à autoriser les Etats Unis à réaliser
ces actes mêmes que la Cour doit poursuivre et que la première puissance
mondiale considère légaux (lawful) quand c'est elle qui les commet. Nous
nous trouvons ainsi devant un cas typique de reconnaissance de souveraineté,
dans la mesure où les Etats Unis revendiquent et se voient reconnaître une
position d'exception par rapport au droit international.


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Les Etats Unis sont aujourd'hui à la tête d'une nouvelle souveraineté
mondiale, un Empire reconnu comme tel par les autres puissances, notamment
par l'Europe. Ceci est rendu manifeste par deux faits : sa capacité à
désigner l'ennemi dans les rares Etats qui ne reconnaissent pas la
souveraineté impériale et donc de décider de l'état de guerre (permanente)
au nom de la communauté internationale et le fait que sa position d'
exception (impunité, droit au terrorisme légitime) par rapport au droit
international soit désormais largement reconnue. Reste évidemment un autre
niveau de légitimité qui reste problématique : la légitimité populaire au
niveau mondial -même dans les pays du centre du système impérialiste
classique- qui pour l'instant fait entièrement défaut. L'édification d'un
ordre impérial souverain trouve là un sérieux obstacle.








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