Libération: La Roumanie <http://www.liberation.fr/actualite/monde/232038.FR.php> déballe son argent sale à la télévision Le Président et le Premier ministre s'accusent mutuellement de magouilles. Par Luca NICULESCU QUOTIDIEN : mercredi 31 janvier 2007 Bucarest de notre correspondant Les Roumains sont rivés à leurs postes de télé, spectateurs d'un duel au sommet de l'Etat qui se feuilletonne sur le petit écran. Un soir, le président, Traian Basescu, brandit un billet signé par le Premier ministre, Calin Tariceanu, dans lequel ce dernier demande au chef de l'Etat d'intervenir en faveur de son ami le «roi du pétrole» Dinu Patriciu, inculpé de fraude, évasion fiscale et délit d'initié. Partis «vitrines». «Le chef du gouvernement fait le jeu des oligarques !» dénonce le Président. Quelques dizaines de minutes plus tard, toujours à la télévision, le Premier ministre accuse Basescu d'être à la solde de groupes d'intérêt du BTP. Le lendemain, un autre homme politique produit à son tour une note, signée cette fois du chef de l'Etat, qui demande au ministre de l'Economie d'intervenir en faveur d'une entreprise d'aluminium. «Nous sommes en plein délire politico-économico-médiatique !» s'exclame un observateur occidental vivant à Bucarest, qui en a pourtant vu d'autres. Jadis alliés, le démocrate Traian Basescu et le libéral Calin Tariceanu sont à couteaux tirés, chacun accusant l'autre de vouloir contrôler le pays. «Nous assistons à une tentative d'instauration d'un régime autoritaire, comme en Biélorussie», martèle sans rire le chef du gouvernement. Pour l'analyste Iosif Boda, le scandale ne fait que commencer, car «les tiroirs des politiciens roumains sont remplis de ce genre de missives». «Partout en Europe de l'Est, mais en Roumanie encore plus qu'ailleurs, les liens entre le monde politique et le monde des affaires sont trop étroits», commente Jean-Michel De Waele, professeur à l'université libre de Bruxelles. Un avis partagé par Cristian Parvulescu, président de l'association Pro Democratia : «Les partis politiques roumains ne reposent pas sur des bases idéologiques, ce sont plutôt des vitrines pour des groupes d'intérêts économiques.» Exemple : l'an dernier, le Parti démocrate de Basescu a viré de la gauche à la droite de l'échiquier politique européen, lâchant les socialistes du PSE pour les conservateurs du PPE ! Coup de grâce. La Roumanie n'est certes pas une exception. Bon nombre de pays entrés dans l'UE en 2004 ont eu leur lot de remous internes. «Jusqu'à l'adhésion à l'Europe, les élites politiques ont évité les crises. Mais une fois le but atteint, les énergies se sont déchaînées», remarque Jean Michel De Waele. A Bruxelles comme à Strasbourg, où le premier commissaire européen proposé par la Roumanie a reçu un si mauvais accueil qu'il a dû se désister, le regain d'hostilités entre Basescu et Tariceanu est évidemment du plus mauvais effet. Admis au sein de l'UE sans grand enthousiasme le 1er janvier dernier, le pays joue dès le départ sa crédibilité. «Comment représenter les intérêts d'une nation où les hommes politiques les plus importants s'accusent mutuellement d'être soutenus par des mafieux ?» s'interroge, dépité, un diplomate roumain. La rixe ne se cantonne pas à la scène intérieure. Lundi, le parti du Président a ainsi décidé de faire cavalier seul aux premières élections européennes, qui, le 13 mai, enverront 33 députés roumains à Strasbourg. «C'est le coup de grâce» porté à la coalition, a réagi le Premier ministre Tariceanu. Il n'est plus exclu aujourd'hui que ce scrutin européen soit jumelé à des législatives anticipées, ardemment souhaitées par le président Basescu. Au risque de déboucher sur un pays ingouvernable, aucune des forces politiques démocratiques n'étant en position d'atteindre la majorité. Du coup, la crise risque de profiter aux formations populistes : le Parti de la Grande Roumanie (extrême droite) avait déjà su tirer profit d'une autre crise, en 2000, lorsque son leader, Corneliu Vadim Tudor, était parvenu au second tour de l'élection présidentielle. Depuis a aussi émergé le Parti de la nouvelle génération, dirigé par le milliardaire Gigi Becali. Cet ancien berger et patron du Steaua Bucarest, l'équipe de football la plus populaire du pays, se dit touché par la grâce divine et promet que la Roumanie et l'Europe seront sauvées par l'intervention de Dieu. Déjà crédité de 11 % des intentions de vote, son parti ne cesse de grimper.
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