----- Sébastien Dinot <sebastien.di...@free.fr> a écrit : > Bonjour, > > Cette opposition entre logiciel libre et logiciel open source me semble > être, à l'aube de 2021, un combat d'arrière-garde qu'il faudrait savoir > dépasser. >
Bonjour Sébastien Sans parler d'opposition ici (je parlerais plutôt de distinction), je vais te répondre que les mots ont une importance (1) aussi par l'impact qu'ils ont sur les lecteurs. Tu sais comme moi, Sébastien, en tant que technicien du logiciel et en tant que militant du libre, que _libre_ et _open source_ recouvrent à peu de choses près (2) les mêmes ensembles de réalisations logicielles, et tu l'expliques bien dans ton intervention. Cependant, les deux termes éveillent des images différentes en elles-mêmes et donc influent différemment sur la vision que les béotiens -- dont les décideurs font à peu près toujours partie malheureusement -- ont du sujet. "Open source" est compris comme "on peut lire le code". Tandis que le "libre" suggère tout de suite autre chose ! Tu sembles penser que le débat est devenu obsolète parce que les industriels, ayant eu besoin des logiciels libres, n'ont plus peur de l'expression. Mais du coup, personne ne s'inquiète des entorses aux droits des utilisateurs qu'occasionnent l'embarquement, le cloud, le big data... Ce n'est que si l'on a une véritable réflexion sur l'éthique du libre, qu'on considère naturellement ces sujets comme un prolongement de la démarche d'ouverture du code logiciel. (1) What's in a name ? https://www.gnu.org/gnu/why-gnu-linux.en.html (2) https://www.gnu.org/philosophy/free-open-overlap.html (3) En quoi l'Open Source perd de vue l'éthique du logiciel libre - https://www.gnu.org/philosophy/open-source-misses-the-point.fr.html -- https://media.april.org/audio/radio-cause-commune/libre-a-vous/emissions/20190702/libre-a-vous-20190702-chronique-veronique-bonnet-partager-est-bon-perte-ethique-logiciel-libre-dans-opensource.ogg Sur ce, je te souhaite une bonne année, ainsi qu'à tous les lecteurs de cette liste... > Inutile de m'expliquer que le libre procède d'une approche éthique > définie par les 4 libertés de la Free Software Definition (FSD), et que > l'open source se distingue par une approche technique et volontairement > débarrassée de toute considération éthique, définie par les 10 critères > techniques de l'Open Source Definition (OSD). Je sais tout cela et un > peu plus. J'ai moi-même martelé pendant des années qu'il ne fallait pas > confondre les deux mondes. Mais le temps a passé, Microsoft ne traite > plus le libre de cancer, peu de personnes se souviennent de l'infect > programme « shared source » et de nombreux développeurs utilisent avec > délectation VSCode (ou VSCodium). Je ne suis pas dupe, je sais que > Microsoft n'est pas devenue philantrope, mais l'entreprise > a parfaitement intégré le libre à sa stratégie commerciale et cela > profite à tout le monde. Il en va de même pour un nombre croissant > d'entreprises qui paient des gens et investissent de l'argent pour créer > des logiciels libres qui font notre bonheur au quotidien. Elles n'en > restent pas moins des entités guidées exclusivement par leur intérêt > propre et peuvent jouer à l'occasion contre le libre (les petites comme > les grandes, les françaises comme les américaines, les auto-proclamés > « purs players du libre » comme les éditeurs d'outils propriétaires). La > vigilance est donc de mise à leur égard. > > Mais revenons-en aux faits. On dit qu'un logiciel est libre quand il est > diffusé sous une licence reconnue conforme à la FSD par la FSF. On dit > qu'un logiciel est open source quand il est diffusé sous une licence > reconnue conforme à l'OSD par l'OSI. > > Un logiciel libre est-il open source ? Oui (de manière générale). Un > logiciel open source est-il libre ? Oui (de manière générale). Pour que > cela ne soit pas vrai, il faut que la licence soit reconnue par l'une > des parties et pas par l'autre. Est-ce souvent le cas ? > > * Deux licences ont été reconnues comme conformes à l'OSD par l'OSI, > alors que la FSF a expliqué pourquoi elles n'étaient pas conformes > à la FSD. Il se trouve que ces deux licences sont tombées en désuétude > et que je n'ai jamais rencontré un logiciel libre diffusé sous l'une > d'entre elles (alors que les audits juridiques représentent une part > significative de mes activités et me donnent l'occasion de me pencher > sur des milliers de composants). > > * Un certain nombre de licences ont été reconnues comme conformes à la > FSD par la FSF, sans être reconnues par l'OSI. Contrairement aux deux > licences précédentes, que la FSF avait examinées et avait refusé de > valider, les licences dont il est question ici n'ont pas été reconnues > par l'OSI tout simplement parce qu'elle ne les a pas examinées. En > effet, l'examen d'une licence par l'OSI demande l'appui de juristes et > qu'on y consacre du temps et des efforts. C'est pour cela par exemple > que la licence CeCILL n'a, pendant longtemps, pas été reconnue par > l'OSI. Comme cela handicapait les industriels et les chercheurs > français qui avaient fait le choix de cette licence, l'INRIA a fini > par reprendre les discussions initiées quelques années auparavant avec > l'OSI et laissées en friche. La version 2.1 de la licence CeCILL est > née de ces échanges et a été reconnue conforme à l'OSD par l'OSI (du > coup, même si les logiciels diffusés sous licencee CeCILL continuent > à utiliser la version 2.0 pour la plupart, tout le monde accepte > désormais la licence CeCILL). > > Je pourrais par ailleurs vous citer diverses licences qui sont bel et > bien open source et libres, mais ne sont reconnues ni par la FSF, ni par > l'OSI parce qu'elles sont d'un usage confidentiel (c'est par exemple le > cas des ESA Public License Type 1, 2 et 3) et que personne ne s'inquiète > de cette reconnaissance dans les microcosmes où elles sont nées. > > Mais toutes les licences majeures, celles que vous croisez au quotidien, > sont reconnues aussi bien par l'OSI que par la FSF. Ce faisant, les > logiciels que vous utilisez sont autant open source que libres. > > Alors, au delà des strictes définitions, qu'est-ce qui chagrine ? Le jeu > fourbe de certains acteurs bien sûr, voire leur stratégie à géométrie > variable selon les logiciels qu'ils publient ! Quand j'évoque cela, vous > pensez sans doute à Oracle ou d'autres géants américains, mais j'ai > aussi en tête deux entreprises françaises membres du CNLL, que j'ai > entendues affirmer lors d'une rencontre régionale du logiciel libre que > l'accès au code source, on s'en fichait, que ce n'était pas ce qui > intéressait les clients, que ceux-ci voulaient du service (ces « purs > player du libre » justifiaient sans doute ainsi leur politique > éditoriale nauséabonde). Certains abhorrent aussi l'open core et je dois > bien reconnaitre que celui-ci me met de manière générale en alerte et > que j'opte rarement pour des outils open core, car leur éditeur sait > rarement jouer cette partition de manière intelligente et durable > (Gitlab est un remarquable contre-exemple). Mais pour autant, je > comprends que les entreprises doivent trouver un modèle économique qui > leur permette de gagner de l'argent (et avant cela, de financer les > développements) et quand ce modèle est correctement équilibré, nous > sommes tous gagnants. Mais imaginer un modèle économique viable basé > uniquement sur du service autour d'un logiciel 100 % libre n'est pas > toujours possible. Un tel logiciel ne peut dès lors être développé que > par des bénévoles (à supposer que le sujet les intéresse), ou grâce au > mécénat ou par le biais d'un modèle open core. Et pour ne pas se tirer > une balle dans le pied et se faire huer, l'éditeur doit alors avoir la > sagesse de ne pas faire de la version libre de son logiciel une coquille > vide, sans le moindre intérêt. > > Bref, c'est le discours et la stratégie malhonnêtes de certains acteurs > qu'il faut décrier, pas l'open source. > > Depuis quelques années, quand on me demande quelle est la différence > entre logiciel libre et open source, je réponds donc « Blanc bonnet et > bonnet blanc, c'est juste une affaire de sensibilité. » > > Sébastien > > -- > Sébastien Dinot, sebastien.di...@free.fr > http://www.palabritudes.net/ > Ne goûtez pas au logiciel libre, vous ne pourriez plus vous en passer ! > -- Odile Benassy Research Engineer GALaC, LRI, Universite Paris Sud tel: +33 1 6915 4216