Je viens de retrouver un texte qui m'avait beaucoup marqué lors d'un congrès mémorable du mouvement freinet à Aix en Provence (1971, 1500 personnes !)
Pour que les gens parlent, faut aussi
qu’ils osent parler. Ça aussi ça a l’air de rien et pourtant c’est quelque chose
le nombre de gens qu’osent pas l’ouvrir, y a même pas besoin de les empêcher,
ils se la coupent très bien tout seuls et ils trouvent toutes sortes de bonnes
raisons pour pas se faire entendre, que de toute façon on les écoutera pas, et
que ça servira à rien, et le jour où ils sont un peu sincères ils finissent par
avouer qu’ils ont peur qu’on se foute d’eux, qu’ils ont peur de dire des
conneries. Comme si tout le monde en disait pas, des conneries, comme si dans
tout ce qu’on débite y avait pas quatre-vingt-dix pour cent de conneries en
moyenne, j’évalue ça en gros et vous m’en voudrez pas si je tombe un peu
en-dessous de la vérité. Et puis qui c’est qu’en juge, que vous dites des
conneries, qui c’est qu’en décide que c’est des conneries ? C’est toujours
la même histoire : au lieu de constater tout bêtement que les
valeurs, c’est ni plus ni moins des mirontons comme vous et
moi qui les font, aussi plats, aussi cons, aussi limités que vous et moi et
sûrement pas infaillibles, les gens ils ont toujours derrière la tête, ce qui
fait qu’ils peuvent même jamais le voir en face, ce modèle idiot de comment le
monde est fait qu’y a quelque part dans les hauteurs une espèce de dépôt des
poids et mesures ousqu’on trouve les étalons de tout ce qu’il faut dire et de ce
qu’il faut pas dire, de ce qu’il faut penser et de ce qu’il faut pas penser, et
toutes les fois qu’ils voudraient en sortir une ils se demandent ce que l’étalon
va en dire, si elle sera à la bonne longueur ou si elle va pas avoir l’air trop
minable, alors neuf fois sur dix après avoir bien réfléchi ils préfèrent la
rentrer en douce, ils ont trop peur d’avoir l’air con.
Moi si je refaisais les Droits de l’homme, qui commencent à en avoir
bien besoin, celui que je mettrais avant tous les autres, parce que c’est le
plus fondamental et c’est peut-être le seul qui pourrait vraiment changer la
vie, c’est le droit à la connerie. Le jour où chacun en sera pénétré, le jour où
chacun sera décidé à l’exercer, vous pouvez pas imaginer ce que le monde sera
plus heureux, et plus détendu, et plus aimable aussi. En attendant, faut
continuer à avoir l’air intelligent, ce qu’on
s’emmerde !
Roger Gentis, Guérir la vie,
1971.
Centres de Recherches des Petites Structures et de la Communication
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